Le Chardonneret

- J'ai besoin d'un torche et d'une douzaine de fusils. - La dynamite, c'était facile, mais les fusils c'est dur à trouver... Pourquoi tu as changé d'avis ? Tu ne voulais pas tous les tuer ?
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Roman - Noir

Le Chardonneret

Social - Trafic - Artistique MAJ mardi 21 janvier 2014

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 23 €

Dona Tartt
The Goldfinch - 2013
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Édith Soonckindt
Paris : Plon, janvier 2014
796 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-259-22186-3
Coll. "Feux croisés"

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    Le Prix Pulitzer dans sa catégorie roman a par le passé récompensé de nombreux auteurs de romans noirs et sociaux pour des ouvrages qui sont restés à la postérité. C'est ainsi qu'en 1919, Booth Tarkington recevait le prix pour La Splendeur des Amberson, qui allait être plus tard adapté au cinéma avec brio par Orson Welles. Booth Tarkington sera à nouveau récompensé en 1922 avant de céder le prix à Willa Cather. Par la suite, le Pulitzer aura quelques fulgurances dont Autan en emporte le vent, de Margaret Mitchell, en 1937. Mais cette vaste fresque romanesque sur fond de guerre de Sécession nous éloigne des auteurs du noir. Citons en 1940 Les Raisins de la colère, du géant américain John Steinbeck, Les Larrons, en 1963, de l'incontournable William Faulkner (mais reçu à titre posthume), Lonesome Dove (saga du Grand Ouest publiée aux éditions Gallmeister en deux volumes précieux dans leur très classe collection "Totem"), de Larry McMurtry en 1986, et plus récemment, en 2007, La Route, de Cormac McCarthy. Les jurés ont souvent bon goût, et cette année leur choix s'est porté sur Le Chardonneret, de la très discrète romancière Donna Tartt au détriment des deux ouvrages suivants : The Son, de Philipp Meyer, et The Woman Who Lost Her Soul, de Bob Shacochis. Une jolie récompense pour un auteur qui met plus de dix ans à écrire ses romans, et une digne héritière des pré-cités...
    Liens : Cormac McCarthy

Trompe-l'œil foisonnant

L'œuvre de Donna Tartt est singulière, et Le Chardonneret n'échappe pas à cette singularité. C'est un grand récit littéraire qui pourrait être un grand roman noir mais en creux. De fait, les nombreux éléments du polar se retrouvent dans le récit : des drogues diverses et variées, des pères violents et alcooliques, des terroristes, des collecteurs de dettes avec battes de base-ball, des œuvres d'art volées qui servent de caution lors d'échanges ente trafiquants, des escrocs faussaires qui fabriquent de fausses antiquités, une virée entre New York et Amsterdam avec passage par Las Vegas, trois lieux emblématiques de trafics possibles, des gangsters russes et ukrainiens, quelques maîtres chanteurs et des policiers pour compléter le tableau.
Pourtant, le récit n'est pas traité nerveusement, à la Quentin Tarantino (sauf peut-être dans une scène entre voleurs essayant de se doubler les uns les autres), ni à la James Ellroy. Les drogues sont vues principalement sous l'angle d'adolescents ou de cadres d'entreprise consommateurs, le tableau volé (le Chardonneret du titre) est constamment changé de cachette sans que personne ne le voit, et le faussaire essaye de racheter sa production. Constamment servie par des emprunts à la littérature classique (les grands auteurs russes ou anglais, voire notre Marcel Proust national ou Albert Camus quand il écrit La Chute), Donna Tartt déploie un style inspiré des grands textes de Henry James, décrivant surtout le milieu de la grande aristocratie new-yorkaise côtoyant les artistes (la mère même du narrateur, complètement fauchée mais vivant d'eau fraîche et de l'art qu'elle respire) ou les artisans du beau - un vieil homme qui remet en état d'anciens meubles américains. L'évocation de Las Vegas est surtout l'occasion de présenter les grands espaces américains, à la Dennis Hopper, mais déformés là aussi car le narrateur va passer son temps dans une maison, à tester ses talents de toxicomane. De même, féru d'art, il se retrouvera à Amsterdam pour rester cloîtré dans sa chambre d'hôtel.
Récit initiatique, Le Chardonneret s'ouvre avec la rencontre entre deux adolescents dans un musée au moment où des terroristes font justement exploser les salles. Donna Tartt nous fait suivre le jeune garçon qui vient de perdre sa mère et la façon dont il ne reviendra pas à la vie normale, essayant de vivre, de manière plus que chaotique, juste sauvé par ce tableau qu'il a volé dans le musée en ruines et qu'il conserve caché, comme si l'art pouvait être une consolation. Les personnages qui vont graviter autour de lui sont tous, plus ou moins, des handicapés de la vie, cherchant dans l'art ou dans l'amour des réponses qui n'existent peut-être pas. Le roman fonctionne ainsi, en demi-teintes, en clair-obscur, avec des personnes troublées qui vivent cachées au milieu des teintures de leur appartement silencieux, réfugiés derrière des bureaux où il ne se passe rien ou à l'inverse emmurés dans des séries d'actions dont on en perçoit pas le but, pris dans des conventions sociales dont plus personne ne connaît le sens (au début du roman, des passages sur la façon dont les adultes essaient de remonter le moral du narrateur qui vient de perdre sa mère ou les fiançailles - à la Visconti du Guépard - haut lieu d'hypocrisie où même les fiancés savent qu'ils se marient juste par souci de convenances).
Malgré sa pagination qui peut faire peur, le texte de Donna Tartt se lit avec facilité. Il faut donc imaginer Le Chardonneret comme le roman que pourrait écrire Henry James ou Marcel Proust aujourd'hui, comme un tableau de Rembrandt qui, à la place des buveurs de taverne peindrait des junkies. Il laisse ancré en nous des images et des scènes comme les peintures qui y sont évoquées.


On en parle : Lire n°434

Citation

Il y avait quelque chose de festif et de joyeux dans notre duo qui grimpait les marches à toute allure sous le parapluie léger aux rayures multicolores, vite vite vite, on aurait dit que nous échappions ainsi à un événement terrible, alors qu'en fait nous courions droit dedans.

Rédacteur: Laurent Greusard mardi 21 janvier 2014
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