La Splendeur des égarés

Tu aimes lire, cousin ? m'a demandé le mécanicien en voyant mes yeux rivés sur la couverture. Je t'offre un exemplaire de mon roman. Je travaille au garage pour nourrir mes huit enfants, mais mon vrai métier c'est la littérature.
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Roman - Noir

La Splendeur des égarés

Social - Disparition MAJ mercredi 11 avril 2018

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 16,5 €

Sylvie Cohen
Paris : Les Chemins du hasard, mars 2018
176 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 979-10-97547-04-2

Une grande douleur au scalpel

Le titre de ce roman est à lui seul une ode au roman noir car, après tout, ne faut-il pas chercher parmi les humbles, les paumés et les déclassés (qu'ils le soient socialement ou sentimentalement) cette lueur intense qui crée l'humanité ? Pour écrire, et Sylvie Cohen en est la preuve, il n'est pas forcément besoin d'une grosse machinerie stratégique, d'un plan avec parties et sous-parties, bref de ces architectures fabuleuses dans lesquelles parfois le lecteur se noie. Sylvie Cohen en une poignée d'ouvrages qui ponctuent sa "carrière littéraire" a ciselé une œuvre personnelle intéressante, un peu en marge du genre, dans le sens où il n'y a pas forcément de gros flingues, de voyous superbes et des explosions terroristes à chaque coin de page, mais de la pâte humaine, de la description dense et forte, touchant au plus intime des individus, de leurs blessures et déchirures. Au départ de ce roman, un jeune homme qui, lors d'un voyage à Rome, s'immole par le feu en pleine place publique. Sa mère refuse de reconnaître son fils en cette victime brûlée. Un homme qui se trouve là et ne sait comment faire pour la consoler préfère rester à l'écart. Quelques mois plus tard, le même homme voit disparaître sa fille - noyade accidentelle ou suicide en raison d'un chagrin d'amour ? Aussitôt lui revient en mémoire la jeune femme, et il veut alors la retrouver. Une tache ardue, qui au fil des témoins, lui reconstitue une femme dans toute sa complexité (avec notamment une suite de citations contradictoires qui reflètent bien ce qui peut être l'ambivalence d'une vie, car chacun des témoins de notre vie nous voit de manière différente).
Beaucoup de non-dits, de silences, de choses que l'on doit percevoir derrière les apparences de la réalité. Et ce n'est sans doute pas un hasard si le roman se termine justement par le mot "silencio". Sylvie Cohen se permet même des scènes dont on ne sait exactement si elles sont le reflet de la réalité, une déformation d'événements réels ou juste sorties de l'imagination égarée des protagonistes, donnant ainsi sa définition de la vie, un peu à l'instar de ce qu'en disait ce brave William Shakespeare : "La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien." Sylvie Cohen reconstruit ainsi à travers un instant tragique, un moment noir : la disparition d'un enfant la douleur de l'absence, l'incompréhension, les doutes et les fantasmes, et la vie de ses deux personnages centraux, leurs réactions face à ce tsunami qui les touche. Une description psychologique toute en finesse, en douceur, forte et prenante, mais avec tact, restituant l'hébétude de ces vies brisées, qui cherchent à reconstruire l'impossible sur des ruines trop chancelantes, comme un air de jazz ou de blues majestueux, long et douloureux, celui que l'on entend justement, en accompagnement lors de la lecture d'un bon roman noir.

Citation

Sa bouche s'ouvre et se ferme pour prononcer les mots que personne n'entendra jamais. Des mots décombres.

Rédacteur: Laurent Greusard mercredi 11 avril 2018
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