L'Homme traqué

Fils d'un émigré cubain, il avait su combiner les caractéristiques géographiques de la Floride, ses origines latines, son goût pour la violence et l'argent facile. Il s'était taillé une jolie part dans l'univers de la drogue et du racket.
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vendredi 19 avril

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Roman - Noir

L'Homme traqué

Assassinat MAJ jeudi 17 novembre 2011

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 14 €

Francis Carco
Paris : Albin Michel, mai 2008
198 p. ; 23 x 15 cm
ISBN 978-2-226-18664-5

Geindre au fournil

C'est bien le boulanger Lampieur qui a étranglé la concierge, il y a quinze jours, rue Saint-Denis.
Au cas où ce fait majeur nous échappe, - le seul fait majeur de ce roman et révélé dès les premières pages -, il nous est déjà clairement annoncé en quatrième de couverture, et Francis Carco le précise encore, dans un entretien1 reproduit en préambule, nous décrivant par le détail comment ce roman est né.
À vrai dire, l'histoire de Lampieur ne tient qu'à un fil. Celui que les filles rentrant du turbin, au petit matin, faisaient passer par le soupirail du sous-sol d'une boulangerie pour en remonter du pain, rue Tholozé, à l'angle de la rue des Abbesses, en face du bureau de tabac. C'est là, au début des années 1920, dans la lumière vive du soupirail d'un sous-sol, "où un geindre enfournait ou défournait des pains" que le mécanisme romanesque de L'Homme traqué s'est enclenché.
Francis Carco a simplement transposé ce commerce de l'ombre, tout en poésie et en innocence, dans le quartier des Halles, et ce petit matin-là, tandis que le geindre Lampieur étrangle la concierge, chez elle, et la soulage de ses monstrueuses économies, il y a fatalement une de ces filles, rentrant du turbin, qui jette son oseille ficelée par le soupirail et attend en vain de remonter du pain chaud : "Léontine avait donc, sans le vouloir, découvert un secret qu'elle pouvait révéler. Il n'y a que ça dans L'Homme traqué, insiste encore Carco.
On pourrait s'agacer de tout savoir, avant d'entamer ce roman, mais sa réédition2 joue au contraire très finement en poussant le vice jusqu'à faire précéder le roman par le récit de sa naissance. Car, les amateurs de thrillers ou de drames criminels le savent bien : on n'entretient jamais tant le mystère et l'impatience qu'en annonçant d'entrée la couleur, qu'en démasquant le meurtrier avant même qu'il ne se fasse une mine d'innocent, en décrivant avec précision et exactitude les circonstances du drame, en révélant le mobile, le butin, tout. C'est déjà vrai quand un enquêteur interroge des détails dont nous-même, spectateurs, presque complices, n'ignorons rien - ce qui crée chez nous une tension plus ou moins anxieuse ou amusée, la morsure du suspense nous travaillant les tripes à chacune de ses découvertes majeures. Ça l'est tout autant, et ici davantage, quand on n'a rien d'autre à se mettre sous la dent que le drame lui-même, et qu'en lui réside toute l'intrigue.
Il y a bien comme une légère déception quand on comprend, précisément, qu'il n'y aura pas d'enquête, habitués que nous sommes aux intrigues policières, et notamment à celles de Simenon, peut-être, dont le style se rapproche d'étrangement près de celui de Carco. Mais nous étions prévenus, il n'y aura que cette intrigue dans le roman et on n'a rien d'autre à en attendre.
Lampieur sait qu'une des filles qui se retrouvent dans le bistrot de Fouasse, où le boulanger a lui aussi ses habitudes, doit savoir. Ou du moins avoir fait le rapprochement entre son absence, cette nuit-là, et le meurtre de la concierge de la rue Saint-Denis. Mais il ne sait pas jusqu'où va ce rapprochement, ni ce qu'elle en a révélé autour d'elle. Évidemment l'étrangleur angoisse, s'empoisse étrangement, même, à mesure que les jours passent et que rien ne se passe. Il lui semble redécouvrir le quartier des Halles. Les silhouettes, les ombres, les objets qui lui sont les plus familiers lui parlent d'une voix suspecte de vie et de complicité, presque, de mystère partagé : "L'atmosphère dans laquelle il ressassait toutes ces pensées agissait lourdement sur lui et mêlait le plaisir à l'horreur, à tel point qu'il n'avait plus la force de les séparer l'un de l'autre, et qu'il les savourait profondément tous deux, avec une sombre délectation."
Mais Léontine sait, elle stationne avec trop d'insistance non loin du soupirail, et quand Lampieur la rencontre, seule, dans le bistrot de Fouasse, il perçoit dans ses yeux, dans le maintien de son cou, une tension hagarde et inhabituelle qui s'évanouit doucement quand ses tristes sœurs de trottoir la rejoignent à sa table.
Le cafetier Fouasse tient tellement Lampieur pour insoupçonnable, qu'il cancane avec lui à propos de son propre crime... Il évoque la complicité d'une femme, même, dans cette histoire de magot, une femme qui aurait fait le guet pendant que l'autre étranglait : "Si jamais on met la patte dessus, cherchez pas, ça sera à cause de la femme, comme toujours." Il en fallait beaucoup moins pour jeter Lampieur au gouffre !
Car Léontine sait, et Lampieur sait désormais qu'elle sait. Elle se tait, mais lui ne le sait pas. Et si elle s'est tue, se taira-t-elle encore, et pour combien de temps ? Mais là, pardon ! La fatale rencontre entre ces deux-là, je vais la garder pour ma pomme, car autant vous le dire tout de suite : il n'y a véritablement rien d'autre dans L'homme traqué.

NdR.
1. Extrait de Francis Carco vous parle..., Denoël, 1953.
2. L'Homme traqué, obtenait le Grand Prix de L'Académie Française en 1923.

Citation

N'avait-il pas souhaité de la rencontrer chez Fouasse ? Cela lui enlevait toute idée de retour sur soi-même. Il semblait prendre, à se tourmenter et à multiplier les angoisses de sa peur, un soin extrême. Était-ce possible ? Un sentiment nouveau l'habitait. Une espèce d'allégresse imprévue, de détachement, de secrète délivrance... Lampieur pouvait à peine y croire. Pour la première fois, depuis son crime, chaque chose devenait simple, naturelle.

Rédacteur: Stéphane Prat mardi 08 novembre 2011
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