Contenu
Sherlock Holmes et les mystères de Lorraine
Grand format
Inédit
Tout public
Rouletabille en version féminine
Jérémy Bouquin est un auteur prolifique, qui a des choses à raconter et qui est plutôt orienté vers les littératures sociales. Il était donc intéressant de voir ce qu'il allait faire de Sherlock Holmes et de l'univers victorien qui l'accompagne dans cette aventure lorraine.
L'action du roman se déroule en 1909 à Nancy et ses environs (nous aurons une escapade en carriole dans la proche campagne). Si le grand détective, vieillissant, n'est pas le principal protagoniste de cette histoire, son côté énervant subsiste. Le personnage principal est Suzanne, une jeune journaliste un peu féministe, beaucoup indépendante avec des idéaux plein la tête (brûlée qu'elle est) et qui œuvre pour Le Lorrain, une institution à Nancy, quoique quotidien modeste avec à sa tête un rédacteur en chef qu'elle aime mais qu'elle ne ménage absolument pas. Et à Nancy, se déroule justement l'Exposition internationale qui fait la part belle au Royaume-Uni. Sherlock Holmes a réussi à s'y faire inviter sous couvert d'anonymat. On ne sait trop pourquoi, mais il croise Albert Einstein et veut absolument rencontrer Jeanne Weber. Jeanne Weber, c'est une ancienne nourrice étouffeuse d'enfants internée dans un asile. Mais Jeanne Weber c'est aussi une femme qui a des choses à dire, et ces choses ressemblent plus pour le commun des mortels à des borborygmes qu'à des messages clairs et concis. Cependant, Sherlock Holmes n'est absolument pas le commun des mortels. Seulement, s'il a pu arriver à Nancy, il y est placé sous bonne garde par des hommes aux ordres de Lestrade. Sa rencontre fortuite avec Suzanne, qui doit lui rappeler par bien des égards ses anciens irregulars, va changer la donne. En effet, le détective va se jouer de ses gardes en se jouant un peu mais avec respect de la journaliste. Ensemble, ils vont tenter de résoudre une énigme qui prend racine à Paris, qui bifurque en province et qui trouve ses réponses en Lorraine, dans un petit bourg perdu, avec son auberge, son cimetière et son monstre fantastique et gothique, le Craqueuhhe non loin de l'ancienne demeure d'un inventeur.
On retrouve donc au long de cette intrigue ce qui fait le talent de conteur de Jérémy Bouquin. Sous sa plume, la ville prend chair et ses personnages cher. On se confronte au contraste entre le monde de Suzanne, un monde populaire, un monde modeste, mais un monde ingénieux, et celui dans lequel fraie Sherlock Holmes, fait de faux-semblants symbolisés par la délégation anglaise de cette Exposition universelle dans l'Est d'un pays qui va entrer en guerre six ans plus tard et où les ressentiments sont monnaie courante. Si l'auteur s'amuse du canon victorien avec talent et maîtrise, s'il s'amuse de ce paradoxe littéraire de faire d'un personnage de roman un personnage de chair et d'os, il n'en oublie pas pour autant sa littérature sociale. Et en cela, le personnage le plus intriguant et intéressant de ce pastiche holmésien est l'inspecteur Lestrade qui, loin d'être le policier aux ordres benêt que l'on connait, respectueux du détective, de l'ordre bourgeois et de la loi, se révèle être un flic cynique qui n'hésite pas à user de violence. Finalement, l'enquête en elle-même est plutôt une jolie excuse qui trouve une résolution retorse digne d'un roman noir. Mais l'histoire est sacrément racontée.
Citation
J'y retrouvais là, en vrai, toute la réalité de ce que j'avais dévoré dans les pages de ces magazines au papier bon marché, importés des ports du Havre. La légende avait dépassé les frontières depuis qu'on le jouait au théâtre.