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Grand format
Réédition
Tout public
Serge Bromberg (présentation)
Paris : Montparnasse, mars 2006
19 x 14 cm
Coll. "RKO", 75
Crime gratuit
Dès les premiers instants de ce Feux croisés, dernier film hollywoodien insouciant d'Edward Dmytryk avant qu'une commission ne s'interroge sur ses affinités communistes, on est plongé non pas dans un film de guerre sur la démobilisation mais dans un film noir, vraiment noir, avec un combat entre deux hommes que nous apercevons par le biais de deux ombres portées sur un mur avant que l'unique lampe allumée de la pièce ne tombe et réduise cette dernière à l'obscurité. Ingéniosité fantastique du réalisateur, suivent quelques secondes avec un plan coupé mi-obscur, mi-lumineux. L'un des hommes, celui que l'on appellera par la suite "l'inconnu du bar", ne se relèvera pas. Il était, peu de temps auparavant, en compagnie de trois soldats démobilisés et d'une femme, à un bar. Sur les lieux du crime, le portefeuille du "suspect" a été retrouvé.
Le film déroule alors une enquête classique avec un coupable idéal en fuite, et deux personnages féminins - sa femme (Jacqueline White, qui donnera la réplique l'année suivante à William Lundigan dans Mystère à Mexico, de Robert Wise pour un rôle plus important et plus abouti) et une femme qu'il croise et avec qui il aurait pu avoir une aventure (Gloria Grahame, plutôt convaincante en désabusée, qui aura le droit deux ans plus tard d'interpréter au côté de Maureen O'Hara dans Secret de femme, de Nicholas Ray, une chanteuse victime de ce qui semble être une tentative de meurtre) qui sont autant de témoins de sa moralité et de son innocence.
Edward Dmytryk s'attaque au crime gratuit, celui qui s'abat sur une personne pour des raisons qui ne tiennent pas à un conflit entre deux personnes. Dans ce cas bien précis, c'est un crime antisémite. Il va falloir réussir à piéger ce soldat démobilisé joué par Robert Ryan, brute cynique, machiavélique et calculatrice, qui pour s'en sortir commettra un second meurtre - enfin un beau rôle de méchant à l'image de son talent. Il faudra l'ingéniosité d'un commissaire pour qu'il soit confondu.
Le film est très bien construit, tout en rythme avec un Robert Ryan à faire froid dans le dos qui, sous couvert d'aider à prouver l'innocence de son compagnon de beuverie l'enfonce afin de s'en sortir. Robert Mitchum, lui, est un magnifique second rôle, pendant humaniste, mais désabusé, de ceux qui ont vécu la guerre. Il croit cependant à une certaine justice et à de nombreuses vertus - l'amour et l'union permettent de surmonter les épreuves de la vie. Son rôle est à l'opposé de celui de Robert Ryan qui a pu pendant la guerre commettre impunément ses exactions.
Le film apparait du coup comme une critique de la guerre avec un focus sur les traumatismes qui en découlent ("Nulle part. Un soldat n'a pas de but si on ne lui donne pas d'ordre. Il vadrouille ou il devient fou." Pour répondre aux interrogations du troisième Robert du film, Young (qui endosse pour le cinéma l'un de ses derniers rôle et que l'on retrouvera à la télévision au milieu des années 1960 dans la série Le Jeune docteur Kildare), en capitaine Finlay, très compétant et convainquant. Très bien monté, il propose des flashbacks et des répétitions de scène selon les points de vue, qui en font un film noir vraiment efficace.
Feux croisés : 86 min. Réalisé par Edward Dmytryk. Scénario de John Paxton d'après le roman The Brick Foxhole de Richard Brooks. Avec Robert Young, Robert Mitchum, Robert Ryan, Gloria Grahame, Paul Kelly, Sam Levene, Jacqueline White, Steve Brodie, George Copper...
Bonus. Présentation de Serge Bromberg.
Citation
- Cet illettré devrait s'instruire. Je faisais un peu de philosophie.
- La Philosophie ne m'intéresse pas. J'essaie d'éclaircir un crime.