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Balade sanglante irlandaise
En 1925, l'écrivain irlandais Liam O'Flaherty, participant actif de la guerre civile en Irlande, avant d'être contraint à l'exil aux États-Unis puis en France, fait paraître Le Mouchard (The Informer), roman qui sera adapté dix ans plus tard par John Ford au cinéma avec Victor McLagen, Heather Angel et Preston Foster. De quoi est-il question dans ce Mouchard et qui justifie que l'on en parle dans cette chronique sur Shadow Dancer ? De traitrise et du sentiment poignant de cette traitrise pour aboutir à un but personnel au sein d'une guerre quasi fratricide mais en permanence sanglante. D'ailleurs, les similitudes ne s'arrêtent pas à une même thématique qui tient au cocon familial et l'aboutissement d'un rêve ordinaire malgré près d'un siècle entre les deux romans, les deux films et les deux événements rapportés. Shadow Dancer est l'adaptation du roman éponyme de Tom Bradby paru en 1998, mais à la différence de Liam O'Flaherty, le romancier britannique est né à Malte, et le temps a joué en sa faveur pour avoir un certain recul sur un conflit qui ne perdure que parce qu'il est devenu aujourd'hui la raison d'être et de vivre d'une minorité de personnes. Ce qui - bien entendu - n'exclut pas que la guerre civile nourrisse encore une littérature irlandaise teintée de l'omniprésent James Joyce. Il suffit de lire Stuart Neville.
Adapté près de quinze ans après, il faut surtout voir Shadow Dancer comme un témoignage historique - l'homme est journaliste politique, et a été quatre ans correspondant en Irlande du Nord au moment du cessez-le-feu - allié à une intrigue machiavélique digne de L'Espion qui venait du froid, de John Le Carré. Car Shadow Dancer déroule la vie de Collette McVeigh, jeune irlandaise, veuve et mère d'un fils, avec deux frères membres actifs de l'IRA qui ne lui laissent d'autres choix que de combattre à leurs côtés, et une mère veuve elle aussi. Hantée par la mort de son plus jeune frère qu'elle avait envoyé acheter des cigarette à leur père à sa place un quart de siècle plus tôt, elle est plus une victime qu'une militante. Mais une victime qui se trimballe dans le métro londonien avec une bombe dont elle se déleste un peu plus tard, proie aux abois, avant d'être arrêtée, de rencontrer Mac, un agent du MI5, qui lui propose un deal simple : passer les vingt-cinq prochaines années de sa vie en prison loin de son fils ou coopérer, et servir de taupe au sein même de sa propre famille. Le choix va se faire non sans mal...
Bande annonce de Shadow Dancer :
Mais c'est alors que l'intrigue concoctée par Tom Bradby choisit de nous immiscer dans les rouages peu scrupuleux et peu reluisants de l'antiterrorisme anglais. Le jeu de l'infiltration ou du retournement - et surtout de la relation de confiance instaurée entre l'agent et son indicateur - peut conduire également à la traitrise au sein d'une même agence gouvernementale. Et c'est là que Shadow Dancer reprend le même thème que dans L'Espion qui venait du froid. C'est retors et machiavélique, mais avec une fin encore plus noire. Il faut dire que du côté des membres de l'IRA, ça ne rigole pas des masses. Ils ont tous ce côté paternaliste réconfortant qu'ils associent à un regard froid et impénétrable. La mort rôde, et il n'y a aucune pitié à attendre si l'on est reconnu traître. D'ailleurs, le film montre des scènes de torture extrêmement violentes. Et l'interrogatoire de Collette se fait dans de telles conditions que le spectateur sait encore plus qu'elle qu'elle est dans une très fâcheuse posture.
L'interrogatoire de Collette :
Pour faire un tel film, il faut un couple à la hauteur. Et celui formé par Andrea Riseborough et Clive Owen dépasse les espérances de ce drame en peu d'actes hormis ceux facétieux d'un sombre destin. Andrea Riseborough a beau être anglaise, elle incarne parfaitement cette beauté irlandaise atemporelle. Personne atypique, elle a beaucoup tourné pour la télévision et joué au théâtre. Impressionnante de réalisme, elle porte le doute à bout de nerfs tout le long du film, et traine son spleen et sa silhouette le long des côtes pluvieuses irlandaises, rechignant à rester dans une demeure austère où la seule pièce chaleureuse est la chambre de son fils. Bien sûr, elle tombe amoureuse de ce bougre de Clive Owen - quel acteur dramatique ! - bien sûr elle est une héroïne des temps modernes héritière des drames shakespeariens, mais on tremble pour elle à chaque porte qui se claque, on la voit recevoir cet étrange boitier d'urgence qu'elle va devoir cacher dans une maison ouverte à tous vents. Fébrile on la suit dans sa non-vie avec l'envie de dire au monde entier "Laissez-là tranquille !", mais ce serait peine perdue. Tom Bradby, et à travers lui James Marsh, le réalisateur, en ont décidé autrement. C'est ainsi que l'on quitte ce film qui a évité l'écueil du pathos avec des sentiments ambigus, mais avec également l'impression d'avoir passé un très agréable et poignant moment.
Making-of du film :
Shadow Dancer : 101 min. réalisé par James Marsh sur un scénario de Tom Bradby d'après son roman éponyme. Avec Clive Owen, Andrea Riseborough, Gillian Anderson, Aiden Gillen...
Date de sortie : 6 février 2012.
Citation
Vous êtes une terroriste. On vous tient, vous êtes fichue. Acceptez de devenir notre informateur et vous pourrez rentrer chez vous. Vous retrouverez votre mère. Votre fils. Pas de mort, pas de blessés. C'est un travail d'équipe. Vous devez être sûre.