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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu
Paris : Le Seuil, novembre 2014
568 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-02-112506-1
Coll. "Policiers"
Casse-tête norvégien
Le prologue montre l'arrivée en Norvège, en décembre 1974, du Pakistanais Khalid Chadar, qui trouve du travail à la ferme de Stornes pour s'occuper des chevaux de son riche propriétaire. Il est scandalisé par la liberté des mœurs qui règne dans ce pays entre les sexes, et la jeune Elsa, seize ans, tombe amoureuse de lui. La première partie du livre se situe ensuite en avril 2003 à Lillestrøm, près d'Oslo. Les trois cents premières pages sont particulièrement difficiles à lire, car l'auteur fait son possible pour que l'ambigüité règne sur l'identité des personnages et le rapport exact qu'ils entretiennent. Cela débute par l'incendie d'une écurie, qui cause la mort de vingt-neuf des trente-six chevaux, puis celui d'un jardin d'enfants et enfin du foyer de Furunet, dans lequel une jeune fille d'origine somalienne et un veilleur de nuit trouvent la mort. L'incendiaire est présenté comme ayant jadis souffert dans tous ces lieux. Il est maintenant culturiste (adepte de drogues virilisantes) et couche avec une certaine Monica, rencontrée dans la salle de musculation et petite amie d'un flic, ce qui lui permet de se tenir au courant de l'enquête, mais il est obligé de la tuer, car elle a vu sur son portable les vidéos qu'il a prises de ses méfaits.
Parallèlement nous faisons la connaissance de Karsten Clausen, lycéen, geek passionné de maths qui n'a plus qu'un seul testicule à la suite d'un accident dans l'enfance et vit avec son père (chercheur en physique nucléaire) et sa mère (avocate) qui font chambre à part, et Synne, sa jeune sœur, anorexique, mythomane et épileptique. Il tente de nouer une relation avec Jasmeen Chadar, fille de Khalid, mais se heurte à l'interdit opposé par Shahzad, frère de celle-ci et délinquant. Un certain Adrian Wilkins, son prof d'histoire et ancien soldat en Afghanistan, qui vit avec Elsa, sa mère, intervient, l'emmène à une réunion où l'on parle de la menace pesant sur l'Occident et, après une agression de la part du clan pakistanais, l'enrôle dans un mouvement paramilitaire dont fait aussi partie Kai, son demi-frère jaloux de lui (qui l'appelle "Le Prince"), dans les affaires de qui Karsten trouve des dispositifs de mise à feu. Cela motive un règlement de comptes entre eux deux dont l'issue est laissée dans le vague (pour plus de sûreté dans... le doute chez le lecteur). Ajoutons que Karsten connaît Dan-Levi Jakobsen, pentecôtiste et journaliste enquêtant sur les rivalités entre bandes confessionnelles, Sara, sa femme, enceinte de leur second enfant, et Rakel leur fille. Cette famille habite la maison où Kai a jadis grandi, avec Tord et Gunnhild, ses parents adoptifs. Et, avant la fin de cette première partie, un nouvel incendie ravage une boutique pakistanaise tenue par la famille Chadar (qui a entre temps fait fortune, d'une façon dont certains mettent en doute l'honnêteté).
Lorsque débute la seconde partie, qui se déroule près de dix ans plus tard (avril 2011), le lecteur espère avoir à peu près compris (non sans avoir dû se torturer les méninges, comme va devoir le faire le lecteur de ce compte-rendu) qui est qui, fils de qui etc., mais il n'est pas encore au bout de ses peines. Il a d'abord droit à une interview, par Dan-Levi Jakobsen, de la cartomancienne Elsa Wilkins, qui tourne à la leçon de tarot divinatoire. Il apprend ensuite que Karsten a disparu le soir du règlement de comptes, qu'Adrian est en Irak avec les troupes anglaises, que Shahzad est devenu avocat et politicien progressiste et exemplaire, que Kai commence à avoir peur que Synne ne remonte jusqu'à lui et que celle-ci, désormais le personnage central du récit, a été retrouvée inconsciente le soir de la disparition de Karsten et cherche maintenant (un peu à retardement) à savoir ce qu'est arrivé à son frère. Elle finit par retrouver Jasmeen, maintenant mariée de force à un homme plus âgé à qui cela a valu un permis de séjour en Norvège, qui lui dit que c'est sa famille qui a tué Karsten. Kai se sert alors de Maja, jeune étudiante polonaise en musique pour approcher Synne mais, démasqué, il doit la tuer et se débarrasser de son corps, non sans lui avoir fait – ainsi qu'au lecteur, qui peut enfin savoir s'il a bien compris – le récit détaillé de ses activités de pyromane ! À ce moment-là, il ne reste plus que cent cinquante pages dont l'éthique du recenseur interdit de révéler le contenu, ce qui permet de réduire ce compte-rendu d'un ou deux feuillets. Qu'il suffise de dire qu'elles réservent encore des découvertes et surprises, et que la violence, les tarots, les rêves et l'hypnose y jouent un rôle non négligeable.
Ce livre est sûrement un concurrent sérieux pour le prix du roman (policier ? il y a bien des meurtres mais pas d'enquête policière à proprement parler, c'est plutôt un manuel combiné de psychiatrie et de parapsychologie) le plus compliqué de l'année. À vrai dire, c'est assez facile : il suffit de dissimuler les personnages derrière un "il" ou "elle", de "flouter" les rapports qui les lient, d'en créer un capable de s'introduire chez tout le monde et dans tous les ordinateurs, et de donner plusieurs versions d'un seul et même événement. C'est dommage car le livre aborde des sujets sérieux tels que le "choc des cultures" (dont la Norvège a donné récemment un exemple pour le moins violent), la condition de la femme, les traumatismes dont on peut être victime plus ou moins par ricochet, etc. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Mais pourquoi, aussi, faire de la lecture d'un roman un pensum de deux bonnes dizaines d'heures avec prise de notes obligatoire ? L'un des personnages les plus furtifs du livre est un psychiatre devenu auteur de romans policiers. Autoportrait en abîme ? La quatrième de couverture annonce "un puzzle policier particulièrement habile". Ce n'est pas une vantardise éhontée de la part de l'éditeur, cette fois, mais il aurait été bon de préciser, pour éviter tout malentendu, que c'est au format "cinq mille pièces".
Citation
Je ne sais pas si ce sera un roman. Ça prend une autre direction.