On n'est plus des gens normaux

Si j'hésitais plus longtemps, mes nerfs allaient lâcher ou j'allais m'évanouir de fatigue. Je n'avais plus beaucoup de jus, mais je n'allais pas abandonner, pas encore. Il fallait en finir. Je devais mettre un terme à tout ça. Alors je pris une profonde inspiration, puisai le peu d'énergie qui me restait, m'efforçai d'oublier les douleurs qui me parcourait le corps.
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Roman - Noir

On n'est plus des gens normaux

Faits divers - Prétoire - True crime MAJ mercredi 30 octobre 2024

Note accordée au livre: 3 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 16,9 €

Justin Morin
Paris : La Manufacture de livres, août 2024
246 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 978-2-38553-109-6

Vivre après la mort

14 août 2017, sur la commune de Sept-Sorts, une BMW fonce sur la terrasse d'une pizzeria et y fauche les personnes présentes, parmi celles-ci, la famille Jakov. Quelques secondes plus tard, le père Sacha et le plus jeune fils Dimitri sont grièvement blessés. Angela, âgée de treize ans, meurt sur le coup. Rapidement, il apparaît qu'il ne s'agissait pas d'un accident, que le conducteur, David P. a délibérément utilisé son véhicule comme arme, dans le but de tuer. Mais pourquoi ? C'est la question insoluble à laquelle Justin Morin, alors journaliste qui couvre le procès, tente de répondre. Il rencontre la famille et les laisse exprimer leur incompréhension, leur douleur, leur colère, leur culpabilité de survivants. Il assiste à leur reconstruction, à l'impossible travail du deuil qui se fait malgré tout et qui resserre encore plus une famille déjà très unie. Il réalise un brillant portrait, tout en nuances, qui n'attend que le procès du tueur, ses aveux, ses déclarations, pour conclure son récit.

Sauf que le procès arrive et que le meurtrier ne dit rien, n'explique rien, au-delà de timides "regrets" pour son acte, et le journaliste se trouve alors devant un mur. Pour que la vérité puisse s'exprimer, il a besoin du point de vue opposé, de celui du coupable, ou au moins de l'un de ses proches, pour tenter d'éclairer le mystère P., de comprendre ce qui l'a poussé à un tel acte. Mais lorsque ses tentatives de convaincre la véritable sœur de l'assassin échouent, il choisit alors de recourir à un tour de passe-passe. Cette figure de sœur dont il a besoin, il va la recréer, l'inventer de toutes pièces, en faire un personnage de "sœur courage" protectrice de son frère face à une famille dysfonctionnelle et à ses propres démons. Et à cet instant précis, à la page 141, On n'est plus des gens normaux cesse brutalement de fonctionner. Parce que cet artifice romanesque, qu'il tente à plusieurs reprises de justifier au cours des pages restantes, vient contredire toute l'empathie que Justin Morin avait réussi à nous faire ressentir pour cette famille en deuil, pour tenter d'y substituer une autre narration, un portrait en creux dessiné sur du vent. Peu importent les supposés tête-à-tête frère-sœur, les introspections de l'aînée qui sont autant de réminiscences de la biographie de l'auteur, puisque tout ceci est faux, et détricote petit à petit le réel sans parvenir à venir l'éclairer. Pour ne pas sombrer dans le voyeurisme sordide ou la tentation (ici parfois présente) de briller en tant que styliste par rapport aux faits, le genre du true crime auquel appartient in fine ce récit, demande une sérieuse discipline, un effacement, ou un art du pas de côté qui permet de transcender la réalité. Mais n'est pas David Peace ou Truman Capote qui veut, et à ce jeu complexe, Justin Morin échoue à remporter la partie et notre adhésion. C'est dommage, car On n'est plus des gens normaux promettait beaucoup, et offre de fait beaucoup dans sa première partie : de vraies personnes (et pas des personnages), un regard respectueux, un style aussi, qui propose une belle langue, lumineuse, à l'opposé de celle de la presse des "faits divers"... il lui faut juste parfois reconnaître que toute histoire n'a pas forcément de résolution satisfaisante.

Citation

Je prends conscience de tout. Tout est là. Qu'est ce que j'ai fait ? C'est moi qui ai voulu aller à la pizzeria. J'ai mis ma famille en danger. J'ai tué ma fille. Et je viens de la laisser seule, par terre au milieu d'un parking.

Rédacteur: Jean-François Micard mercredi 30 octobre 2024
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