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Les longues soirées passées à chercher des renseignements, à traquer des ombres insaisissables, à consulter des listes sans fin menant la plupart du temps à une impasse, les criminels endurcis qu'une simple erreur de procédure laissait ressortir libres dans la rue, un sourire cruel déformant leurs lèvres, tout cela la minait en profondeur sans qu'elle le reconnaisse. L'avouer, encore plus à soi-même, était synonyme de renoncement, d'abandon.
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mercredi 11 décembre

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Bons baisers de la maison du crime

MAJ mercredi 11 décembre

Bons baisers de la maison du crime
© D. R.

29 mars 2010 - Au début du XXe siècle, certaines affaires, abondamment suivies par la presse, se voyaient exploitées par l’industrie de la carte postale. On s’envoyait ses bons souvenirs derrière la maison de Landru ou les trognes de la Bande à Bonnot. Grâce aux moteurs qui peuvent trier sur Internet par mots-clé et non seulement par département comme sur les stands, on obtient un étonnant Hit Parade du Crime en Cartes Postales. À l’amateur de se livrer ensuite aux recherches annexes car les cartes, hormis les légendes, ne racontent rien. Les plus communes, donc les moins chères, ne sont pas forcément les plus connues.

"Le Crime de Reims" grand vainqueur en nombre sur ebay ou Delcampe, est un outsider puisqu’il concerne le bombardement surprise allemand en 1914 qui détruisit la cathédrale (promue "martyre" d’où le terme "crime") grâce à la propagation de l’incendie par un échafaudage. Le plomb des toits fondit et fut vomi par les gargouilles sur les alentours.
"Le Crime d’Usseau" vient en seconde position : Dans un bois, le 4 mai 1905, à Usseau près de Chatellerault, Roy, garde-chasse, tue d’un coup de feu un nommé Grandpied. Réfugié dans sa maisonnette avec ses munitions, il refuse de se rendre aux gendarmes. Le préfet réquisitionne l’armée. Roy, tout seul, soutient le siège pendant DIX jours ! Une série de cartes postales rend compte de ce siège incroyable. Le 6e Génie d’Angers fait finalement exploser la maison mais Roy a eu le temps de s’enfuir dans la campagne où il sera capturé. Sa peine de mort sera commuée en prison à vie.
Autre affaire très courante en cartes postales : "Le Crime de Langon" (plusieurs vues de l’Hôtel du crime et d’un ponton) où comment l’aubergiste du Café de la Gare, en 1907, à la tête d’une bande de malfrats, assomme puis étrangle un agent d’assurance dans sa cave avant de balancer le corps dans le fleuve avec l’aide d’un complice. Ils sont dénoncés par une servante et meurent au bagne.
"Le Crime de Corancez" (deux vues d’une grande et triste grange) en 1901 dans l’Eure-et-Loir est plus atypique. Quelques jours avant Noël, Édouard Bierre, un encore jeune veuf, laisse sortir sa fille aînée qui tient la maison. Il reste avec ses cinq autres enfants. On les retrouvera tous assassinés et le père blessé ! Il racontera avoir été agressé par des malandrins mais la rumeur pense, elle, qu’il s’est débarrassé de sa quintuple charge familiale pour se remarier plus facilement. Condamné à mort puis gracié, il mourra au bagne comme les précédents.
Autre carte, autre mystère : "L’Affaire de l’Impasse Ronsin. La Maison du Crime." avec cette légende : L’Horloge arrêtée mystérieusement à l’heure du crime. Marguerite Steinheil était la maîtresse du Président Félix Faure qui mourut dans ses bras en 1899, provoquant un énorme scandale. Cette ambitieuse aventurière mariée à un peintre, était devenue une people et son salon faisait recette. En 1908, son nom revint sous les feux de la rampe avec la découverte dans sa maison de l’Impasse Ronsin, des cadavres de sa mère et de son mari étranglé ! Mme Steinheil, ligotée et bâillonnée dans son lit, affirma avoir été victime d’un gang en noir (trois hommes et une femme) puis inventa d’autres accusations plus invraisemblables les unes que les autres. Après un procès très médiatisé (on l’accusa aussi d’avoir empoisonné le Président pour le compte du "syndicat juif") Mme Steinheil fut acquittée, partit vivre à Londres, devint lady et mourut en 1954.
Beaucoup plus rares et donc plus chères, les dix cartes du "Crime de Jully" racontent le massacre commis par deux garçons vachers de 16 et 14 ans dans une ferme de l’Yonne, le 10 décembre 1909. Ils attirent le fermier dans l’étable et le révolvérisent. Sa femme qui vient aux nouvelles subit le même sort. Deux ouvriers agricoles sont ensuite tués à coups de hache, puis un troisième qui sort de la maison. La bonne, elle, est atteinte d’un coup de feu, égorgée et jetée dans le puits. Alors qu’ils reviennent vers la ferme sans doute pour tuer les quatre enfants du couple, les deux adolescents se rendent compte que l’un des ouvriers agricoles n’est pas mort et est parti chercher des secours. Affolés, ils s’enfuient dans les bois. Le lendemain, un chasseur à moustache, les met en joue et les arrête. La série de cartes postales est un véritable reportage pris sur le vif : les assassins furent photographiés en studio avant même de partir en prison ! On trouve donc, trois vues de la ferme avec indications de l’emplacement des divers cadavres, le garde-chasse posant avec son fusil devant un décor fleuri, les deux assassins maussades l’un à côté de l’autre, le jeune ouvrier survivant (un gamin lui aussi) avec son bandeau sur la tête et son bras en écharpe, les quatre enfants du couple de fermiers qui n’eurent pas le temps de se faire massacrer, les funérailles avec la foule sortant en cortège de la ferme, les obsèques, l’entrée des corps à l’église et enfin, la foule écoutant les discours sur les tombes.

Toutes les cartes sont consultables sur le site Cheny.net. Cette affaire criminelle est brièvement traitée dans Les Mystères de l’Yonne de Jean-Pierre Fontaine chez De Borée. Le crime de Corancez est l’une des Grandes Affaires criminelles en Eure-et-Loire de Gérald Massé. Celui de Langon est cité dans les Grandes Affaires criminelles de Gascogne de Sylvain Larue, deux des soixante-quatre titres d’une impressionnante collection (par département ou par région) publiée chez De Borée (24 € chaque) avec des illustrations du "Petit Parisien" en couverture. À quand un recueil des cartes postales du crime ? Pour conclure, une petite énigme : si un lecteur connaît la réponse, merci de la communiquer à La Tête en noir. À quelle affaire fait allusion cette carte vue sur le site de Delcampe ? "Statue de Pastou, le chien malencontreusement absent le soir du crime" ?

Michel Amelin

NdR -Cet article est précédemment paru dans La Tête en noir n° 135 daté de novembre-décembre 2008, et est ici reproduit avec l'aimable autorisation de Jean-Paul Guéry.
Liens : Michel Amelin | La Tête en noir n° 135 Par Michel Amelin

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