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Une petite trappe s'ouvrit à ras du sol. Il y avança la main et tomba tout de suite sur un rouleau de papier assez dense, entouré d'un élastique.
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Norbert Spehner, profession archiviste-critique détective

Mardi 14 mars 2017 - Après sa parution au Québec par les éditions À lire, Le Détectionnaire débarque en France. L'ouvrage est à l'image de celui qui l'a mené jusqu'à son terme : le truculent Norbert Spehner, stakhanoviste des référencements et du catalogage d'ouvrages de mauvais genres - du western au roman de guerre en passant par la science-fiction le sentimental, le roman policier et celui d'espionnage. Ensemble, nous allons revenir sur la genèse du projet, son descriptif, et survoler certains pans des littératures policières. Exégète mais pas que, Norbert Spehner nous explique à la fois ses choix et ses motivations, et se plonge d'ores et déjà sur de nouveaux projets. Souhaitons qu'ils aboutissent (pour satisfaire notre curiosité)...
Laissons-lui la parole !
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© Lisette Racine



k-libre : Comment en arrive-t-on à avoir l'idée d'entamer un dictionnaire des détectives, ou plus exactement des personnages récurrents dans les littératures policières ? Comment avez-vous convaincu votre éditeur ?
Norbert Spehner : La genèse de cet ouvrage de référence est racontée au début du livre. Pour faire une histoire courte, le projet intitial, l'idée de départ, appartient à Thérèse Bouchard-Forray, une bibliothécaire qui voulait publier un ouvrage en anglais destiné au marché anglo-saxon. Pour diverses raisons, ce projet a été repris par Yvon Allard, un de ces collègues qui l'a remanié, francisé et qui a travaillé dessus de nombreuses années avant de me le confier peu de temps avant décès. J'ai accepté de prendre la relève à condition d'en faire mon projet. Il m'a fallu quatre ans de travail intensif pour remanier la chose, lui donner sa forme actuelle et compléter toute la recherche jusqu'en 2015-2016. Il existe des dictionnaires des auteurs de polars, mais aucun dictionnaire des personnages principaux. Jean Pettigrew, mon éditeur, un pionnier dans la promotion du polar et de la science-fiction au Québec, était très enthousiaste et ne m'a imposé aucune limite. J'ai eu carte blanche sur toute la ligne. On me demandera sans doute à quoi peut bien servir un tel ouvrage. Un exemple : un amateur achète aujourd'hui, au hasard, un roman d'Henning Mankell. S'il est intéressé, il va vouloir en acheter d'autres du même auteur : le Détectionnaire lui fournit la liste des ouvrages disponibles. Ce qui nous amène à la question de la structure du livre...

k-libre : En effet, qu'est-ce qu'un Détectionnaire ?
Norbert Spehner : Le sous-titre est explicite : dictionnaire des personnages principaux de la littérature policière et d'espionnage. Précision : des personnages récurrents (ils doivent apparaître au moins dans deux romans différents) du polar international (ils doivent apparaître dans au moins un ouvrage traduit ou en français). Pour chaque entrée (il y en a près de deux mille cinq cents), il y a une "biographie" plus ou moins élaborée, suivie de la liste des œuvres originales ainsi que des traductions équivalentes (avec infos bibliographiques). Le tout est complèté par la liste des adaptations cinématographiques et télévisuelles. Précisons que pour nombre d'auteurs de polars québécois, les notices ont été rédigées par eux. À noter qu'il y a quelques exceptions, soit des personnages non récurrents comme le Sam Spade, de Dashiell Hammett ou Guillaume de Baskerville, d'Umberto Eco, des incontournables qui ont marqué le genre policier (roman noir américain, polar historique).

k-libre : Les amateurs de littératures de genres vous connaissent aujourd'hui pour le fanzine électronique Marginalia, un bulletin bibliographique (disponible gratuitement) qui recense les études internationales sur la littérature et le cinéma de genre. Mais ce n'est qu'une de vos facettes. Quelles sont les autres ?
Norbert Spehner : Pour le détail de ma longue carrière, je vous renvoie à l'article de Wikipédia qui m'est consacré. Enseignant à la retraite depuis 2014 (après une carrière de professeur de plus quarante ans), j'occupe mes loisirs comme critique de polars pour le quotidien québécois La Presse, Le Placoteux, un hebdomadaire local, la revue Les Libraires et d'autres publications. J'étais aussi critique pour la défunte revue Alibis. Par ailleurs, je donne des conférences sur le polar et le western, participe à toutes sortes d'activités (salons du livre, congrès spécialisé, etc.). Et je lis une bonne centaine de polars par an en plus de publier des livres sur les littératures de genre et/ou le roman policier notamment le polar québécois, en pleine essor.

k-libre : Vous êtes un personnage à part dans les littératures de genres. Comment vous qualifierez-vous ?
Norbert Spehner : Je ne sais pas ce que vous entendez par "un personnage à part", mais il est vrai que je ne suis pas un auteur de polars. Je suis un lecteur boulimique et un chercheur passionné qui aime explorer des territoires inconnus. Ma passion c'est de communiquer mes trouvailles, mes coups de cœur. Sans vouloir me vanter, au cours de ma longue carrière de professeur de collège (CEGEP, au Québec), j'ai eu la chance, grâce notamment à un cours spécialisé en littérature policière, science-fiction et fantastique, de "convertir" des dizaines de mes étudiants à la lecture. Avec eux, j'avais d'ailleurs créé Requiem, devenue Solaris et qui est la plus ancienne revue de science-fiction francophone au monde. Je n'en suis pas peu fier ! De "père de la science-fiction québécoise", je suis monté en grade pour devenir "le pape du polar". (Désolé Claude Mesplède, mais ici ils t'ont détrôné, je n'y suis pour rien...) Les gens aiment bien vous donner des titres ronflants... Je ne crois pas être un "expert" car le domaine est trop vaste. Mais un passionné, certainement !

k-libre : Comment se portent les littératures policières au Québec ? Qui sont les écrivains majeurs et qu'apportent-ils au genre ?
Norbert Spehner : Depuis une dizaine d'années la littérature policière québécoise a connu un essor considérable, la plupart des grands éditeurs n'ayant plus de réticence à publier du polar. Comme le genre est rentable, ce serait plutôt la course aux talents. Grosso modo, il se publie un peu plus de quatre-vingts polars par an et on compte un bassin d'environ cinquante auteurs de talent, quelques tâcherons laborieux, avec un apport de voix nouvelles tous les ans. Signe des temps, les œuvres d'une partie des ténors du genre (une dizaine) ont traversé l'Atlantique : Patrick Senécal, Joanne Seymour, Andrée A. Michaud, Guillaume Morrissette, Chrystine Brouillet, Jacques Côté, etc. Le polar est représenté dans les salons du livre, les galas, les rencontres, et les prix littéraires se multiplient, bref le "milieu" est très actif. On s'est beaucoup interrogé ici sur la spécificité du polar québécois et la réponse n'est pas facile à trouver. Il existe une trentaine de séries policières parmi lesquelles on retrouve des romans de procédure policière (Jacques Côté, Richard Sainte-Marie, Martin Michaud, Anna Raymonde Gazaille, Maureen Martineau, Syvie Catherine de Vailly, Joanne Seymour, etc.), du polar historique (Maryse Rouy, Philippe Beaudoin), du hard-boiled (Maxime Houde, Marie-Ève Bourassa), du polar écolo (Marie-Éve Sévigny), du thriller (Michel Jobin, Jean-Jacques Pelletier, André Jacques, Mario Bolduc), de l'espionnage (Lionel Noël, Luc Chartrand), du roman noir (Éric Forbes, Laurent Chabin, André Marois), etc. Particularités : la langue qu'il faut parfois "adapter" pour le public européen, le cadre géographique, les corps de police. Sinon un polar reste un polar...

k-libre : Le Québec est très proche des États-Unis, un vaste terreau de polars en tous genres. Qu'elle en est l'influence sur le Québec et réciproquement ?
Norbert Spehner : Ça peut sembler paradoxal, mais nombre d'amateurs québécois de polars boudent la production locale et préfèrent les auteurs scandinaves ou anglo-saxons. C'est un combat de tous les instants pour les convaincre de la qualité et de l'intérêt de la production locale. Les écrivains d'ici sont forcément influencés par les polars d'ailleurs. Mais si le Québec est un peu le village gaulois de l'Amérique du Nord, il n'en reste pas moins que l'influence des États-Unis est évidente et cela se reflète en partie dans la forme et les thématiques de nos polars. Par exemple, Maxime Houde a fortement été influencé par l'œuvre de Raymond Chandler. Même chose pour Marie-Ève Bourassa... alors qu'un André Marois se réclamerait plus d'un Jean-Patrick Manchette. Les influences sont présentes mais cela n'empêche ni l'originalité, ni les talents particuliers de s'affirmer. Quant à la possibilité d'être traduit dans la langue de Shakespeare, on peut toujours rêver... Les thrillers de Mario Bolduc et certains polars de Jean Lemieux ont été traduits au Canada anglais, mais je ne connais aucun écrivain québécois qui aurait percé aux États-Unis.

k-libre : Quel regard portez-vous sur les littératures policières françaises ? Quels sont les auteurs qui vous titillent plus particulièrement l'esprit ?
Norbert Spehner : Comme chroniqueur et critique, je me dois d'avoir une vision englobante pour me tenir bien au fait de l'actualité internationale. Dans le polar français, qui n'est pas mon favori, mea culpa, je déplore souvent une certaine complaisance dans le glauque, l'ultra-violence, la psychopathologie et une vulgarité presque obsessionelle. Ce qui ne m'empêche pas d'apprécier les Jacques Saussey, Sonja Delzongle, Franck Thilliez, Ian Manook, Olivier Truc, Pierre Lemaître, Patricia Rappeneau, Caryl Férey ou Dominique Sylvain, pour n'en nommer que quelques-uns parmi mes préférés. Par ailleurs, si je me fie à mes recherches et à Facebook, il y a en France un fort courant régionaliste dont les œuvres ne sont pas disponibles au Québec où on reçoit surtout la production des grandes maisons. Évidemment, je parle ici d'auteurs très contemporains car j'ai aussi lu et apprécié des "classiques" comme Boileau-Narcejac, Léo Malet, Sébastien Japrisot, Jean-Patrick Manchette, etc. que je trouvais nettement plus intéressants et plus talentieux que certains marchands de saucisse à la sauce serial killers d'aujourd'hui.

k-libre : Qu'est-ce qui fait qu'un pays devient un pays de littératures policières ?
Norbert Spehner : Trucider ses semblables étant, depuis la nuit des temps, le sport favori de l'homo sapiens, aucun pays n'est à l'abri du crime et de la criminalité, thème central de toute littérature policière. Le polar est présent dans tous les pays plus ou moins développés et son succès est souvent relié à des moments de crise. Lointain ancêtre du roman noir et du polar, le roman gothique est apparu alors que les Révolutionnaires coupaient allègrement des têtes de nantis et semaient la terreur chez les privilégiés et les cours d'Europe. Le peuple, assoiffé de sang, était avide de sensations fortes... Il faut croire qu'en plus des impératifs commerciaux (le polar est rentable), l'air du temps est favorable au genre. Ceci dit, j'ai été témoin dans les années 1980 de l'effondrement rapide du marché de la science-fiction alors qu'il y avait plus de cinquante collections. Du jour au lendemain, il n'en restait qu'une petite poignée. Phénomène d'accoutumance et de saturation : ça pourrait arriver au roman policier !

k-libre : Comment expliquez-vous la vague nordique, et quels sont les héros récurrents nordiques ou scandinaves que vous pouvez conseiller et pourquoi ?
Norbert Spehner : La vague nordique, j'en attribue en grande partie la responsabilité à Henning Mankell, à son personnage de Kurt Wallander, et à la critique sociale subtilement amenée dans ses intrigues bien ficelées. S'il ne fallait en lire qu'un, ce serait lui et les auteurs qui l'ont inspiré, le couple Maj Sjöwall et Per Wahlöö (série "Martin Beck", toujours disponible). Après, bien sûr, il y a eu le "phénomène" Millenium qui a amené de nouveaux lecteurs. Et puis, dans les mois qui ont suivi, on a parfois eu l'impression que l'on nous servait de plus en plus de fonds de tiroirs. Toutes les semaines ou presque, on découvrait une nouvelle "reine du polar suédois", un nouveau "maître du polar danois", ou des trucs illisibles ou ringards présentés invariablement comme le "nouveau Millenium", etc. (Le quatrième tome de la saga est affligant !) Mais Camilla Läckberg et ses polars pour madames, non merci ! De tout ce fouillis hétéroclite, je retiens surtout les polars de Jo Nesbø, Arnaldur Indridason, Gunnar Staalesen, Mons Kallentoft qui restent mes favoris.

k-libre : Vous avez sélectionné combien d'entrées, et exclu combien d'autres et pourquoi ?
Norbert Spehner : Je n'affirmerai pas - ce serait téméraire - que le Détectionnaire est exhaustif ! La littérature policière est très vaste, il y a des milliers de titres et les compilations bibliographiques, les recherches dans le domaine francophone sont plutôt rares, alors que les sources abondent dans les pays anglo-saxons, moins snobs que les Français et les Belges quand il s'agit de littératures de genre. Ceci dit, a priori, je n'ai exclu personne. Le Détectionnaire n'est ni sélectif ni critique. J'y ai mis tout ce que j'ai réussi à trouver en termes de personnages récurrents soit un peu plus de deux mille cinq cents détectives, espions, tueurs, enquêteurs en tous genres, y compris des chats et des chiens. Si j'ai probablement omis d'obscurs auteurs aujourd'hui tombés dans l'oubli, je suis à peu près certain de ne pas en avoir oublié de majeurs. Ce livre a eu droit à un article fouillé dans Le National, principal quotidien d'Haïti, parce que Gary Victor avait eu l'agréable surprise d'y trouver son personnage de Dieuswalwe Azémar, alors que la Suisse Corinne Jacquet y découvrait son enquêteur fétiche Norbert Simon. Bref, je n'ai voulu exclure personne, dans la mesure où, évidemment, je connaissais leur existence. Et si d'aventure, un lecteur découvrait que son héros favori n'est pas présent, il est prié de se manifester au cas où le projet de supplément Internet se concrétiserait. Tout personnage apparaissant dans deux romans disponibles en français (traduits ou originaux) était systématiquement retenu. Il faut un temps où le polar n'était qu'une sorte de jeu cérébral, un whodunit dont le personnage principal, simple machine à penser n'avait parfois aucune personnalité autre que son nom : l'inspecteur Machin (sans prénom, sans famille, sans psychologie). Inutile de dire que sa notice biographique est brève !

k-libre : Quels sont les différents types de personnages et quels en sont les héros emblématiques ?
Norbert Spehner : Vaste question qui est largement abordée dans l'introduction de l'ouvrage. Tout amateur de polars qui en a lu un certain nombre sait que les protagonistes de polars, on en trouve de toutes sortes allant des classiques inspecteurs de police, détectives privés à la maîtresse de maison trop curieuse, la bibliothécaire fouineuse, en passant par les journalistes, les légistes, les avocats et autres représentants de la justice, des prêtres et des moines, les animaux domestiques favoris, etc, etc. Parfois ce sont les voleurs, les truands, les escrocs, voire les tueurs qui sont mis en vedettes : Arsène Lupin, Dortmunder, Fu Manchu, Parker, Dexter, Hannibal Lecter, et combien d'autres. Une véritable cour des miracles... Il y a des détectives handicapés, aveugles, manchots, unijambistes, paraplégiques et j'en passe et des meilleurs. Évidemment, on trouvera ausi et surtout ici toutes les grandes "vedettes" comme Sherlock Holmes, Hercule Poirot, James Bond, Jules Maigret, Miss Marple, Arsène Lupin, Le Père Brown, Cadfael, Jason Bourne, und so weiter... Il reste que le noyau pur et dur du polar contemporain se cristallise autour de personnages comme Harry Bosch, John Rebus, Harry Hole, Kurt Wallander, Victor Lessard, Daniel Magne, Yeruldelgger, Hanah Baxter, soit des enquêteurs chevronnés œuvrant dans les forces de police, des légistes, des profileurs ou des journalistes.

k-libre : Des personnages qui évoluent en périphérie de certains personnages récurrents célèbres - comme le superintendant Lestrade - se retrouvent dans votre Détectionnaire. Pourquoi et où mettre les limites ?
Norbert Spehner : A priori, les personnages secondaires n'ont pas leur place ici. Mais il y a des exceptions dans la mesure où comme Watson (inséparable de Holmes), Lestrade et quelques autres, ils finissent par avoir leur propre série ou parce qu'ils ont acquis une notoriété telle auprès des lecteurs qu'on nous reprocherait de les avoir oubliés. Ces personnages secondaires apparaissent aussi dans les notices qui présentent les protagonistes. Parfois, on a affaire à des duos (Hap & Collins) ou des groupes (Women's Murder Club, de James Patterson)...

k-libre : Ce qui est impressionnant, c'est que vous vous attaquez également aux pastiches. C'est un travail titanesque. Comment avez-vous fait ? Certains comme les pastiches holmésiens sont très nombreux...
Norbert Spehner : Ai-je besoin de vous dire que dans ma bibliothèque personelle il y a des dizaines d'ouvrages sur le polar, en français comme en anglais, que j'ai une vaste collection de revues qui ont été religieusement épluchées de fond en comble, des catalogues de librairies, etc. ? Et, bien entendu, il y a l'Internet et des sites fabuleux où des maniaques comme moi accumulent listes et documentation. Sans compter, ces sites où l'on vend du livre d'occasion et ceux des grandes bibliothèques du monde directement accessibles dans votre salon. Il faut être patient et un peu maniaque. Je peux passer des journées entières à fouiller dans ces listes, à compiler, annoter, etc. Ça occupe les longues journées d'hiver... J'ai consacré quatre ans à cete recherche. Mais en toute honnêté, des pastiches de Sherlock Holmes, il s'en publie régulièrement, dans tous les pays, et ma compilation de titres français et anglo-saxons dans ce Détectionnaire n'est probablement que la petite pointe de l'iceberg !

k-libre : Le Détectionnaire est un ouvrage condamné à être obsolète dès sa parution. Avez-vous conscience de cet état qui est parce que certaines entrées sont d'auteurs confidentiels actuels sur lesquels nous n'avons pas de recul, et qui seront peut-être oubliés demain comme d'autres l'ont été hier ?
Norbert Spehner : Tout ouvrage de référérence de ce type, au même titre que votre nouvel ordinateur, est obsolète au moment de sa parution. Je suis bien placé pour le savoir dans la mesure où, ayant remis mon manuscrit en 2014, j'ai continué d'envoyer de nouvelles références jusqu'en 2016. Trois semaines avant la fin du montage, j'envoyais encore quelques données nouvelles. Le contenu de cet ouvrage est un instantané de ce qui s'est fait en polar entre 1841 (Auguste Dupin) et la dernière enquête de Yeruldelgger. Il est destiné aux amateurs du genre, bien sûr, mais aussi aux étudiants et chercheurs de tous poils. Figurez-vous que j'en ai même découvert l'intérêt et l'utilité : je m'en sers régulièrement parce que souvent plus rapide que le net, parce que plus synthétique qu'une recherche avec résultats dispersés sur Internet. Combien y a-t-il de toiles de peintres aujourd'hui disparus ou inconnus dans les salles des musées ? Ce Détectionnaire sera une sorte de musée des protagonistes du polar, une collection unique à l'intention de ceux que les archives du genre intéressent. Il y a nombre d'auteurs inconnus et oubliés dans le Mesplède et avec toutes les nouvelles parutions, un tome 3 ne serait pas du luxe. Un jour peut-être... Reste que ce sont des ouvrages utiles.

k-libre : C'est un ouvrage dans la ligne droite du Dictionnaire des littératures policières, de Claude Mesplède avec les mêmes avantages et les mêmes travers. Qu'est-ce que vous inspire Claude Mesplède ?
Norbert Spehner : Le dictionnaire de Claude Mesplède est un livre qui traîne en permanence sur mon bureau et dans lequel je plonge régulièrement. L'Internet n'a pas les réponses à toutes les questions, loin de là... Et le Mesplède est un trésor national et international. J'ai les deux éditions et je ne pourrais pas m'en passer. J'y ai d'ailleurs contribué à ma modeste manière. Dans les pays anglo-saxons, les ouvrages de référence, les études, les essais et les thèses sur le polar sont monnaie courante. Il y en a des centaines, de quoi remplir votre Bilipo ou presque. Même les universitaires y contribuent. En France, snobisme et préjugés obligent, ils en sont encore trop souvent à rédiger la soixante-dix millième étude sans intérêt sur la virgule chez Proust, l'onomatopée chez Flaubert ou les hémmoroïdes de Balzac. Heureusement qu'il y a des Claude Mesplède, Jacques Baudou, Jean-Jacques Schleret, Roland Lacourbe et autres passionnées pour sauver la mise et dépoussièrer tout ça ! Pour moi, ce sont des modèles et des précurseurs.

k-libre : La masse de données que vous devez avoir accumulé semble infinie, quelles pourraient être les grands travaux d'enquête - géographie, frise historique, guide des prix littéraires ?...
Norbert Spehner : Pour qui connait bien le domaine, la recherche sur le polar ouvre des avenues intéressantes et multiples. Pour ma part, j'explore - entre autres - jour après jour l'édition et la production de polars québécois. J'ai déjà publié deux compilations intitulées Le Roman policier en Amérique française (tomes 1 et 2) qui couvrent la production depuis le XIXe siècle jusqu'en 2010. Je publie régulièrement des documents en ligne (disponibles pour consultation sur les sites de calaméo.fr, academia.edu, scribd, etc. - demandez à Mister Google, il trouvera pour vous) des documents bibliographiques ou des critiques sur le polar africain, le roman noir, les polars avec Jack l'Éventreur, les polars nordiques, allemands, italiens. J'ai aussi entamé la recherche pour un futur Dictionnaire bibliographie thématique du polar conçu sur le principe suivant : des mots clés comme par exemple "Sports", "Enlèvement", "Nouvelle Orléans", etc., avec un petit texte d'introduction pour chaque thème et ensuite dix polars incontournables où le thème est central (avec mini-résumé).

k-libre : Avez-vous d'autres projets ?
Norbert Spehner : Deux choses me tiennent à cœur... D'une part trouver une formule écrite ou électronique pour continuer le Détectionnaire et le mettre à jour périodiquement. J'ai déjà une montagne de documents qui demande à être exploitée. Mon éditeur et moi cogitons là-dessus. Par ailleurs, je mets la touche (presque) finale à une histoire du roman western américain, moitié essai historique et thématique, moitié bibliographie des westerns traduits en français. Si vous connaissez un éditeur intéressé. faite moi signe...


Liens : Norbert Spehner | Le Détectionnaire | Marginalia Propos recueillis par Julien Védrenne

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