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Emanuel Dadoun, le Zombie de la Chambre Jaune…

Jeudi 20 mai 2010 - Emanuel Dadoun vient de publier Lazarus, aux éditions Sarbacane. Thriller fantastique, tenant fermement le fil d'une narration réaliste. L'auteur le voulait "total", ouvert très largement au poétique, sans renoncer au réalisme du genre. Il s'en explique pour vous.
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© D. R.



k-libre : Pourquoi Lazare tout d'abord ? Pourquoi pas les Ressuscités d'Emmaüs (Luc 24,13-33), ou bien la Résurrection du jeune homme racontée par Luc (7,11), voire, dans l'Ancien Testament, celle du fils de la veuve de Sarepta,(1 rois 17-10), ou celle de la Sunamite,(2 Rois 4-36), voire ce mort jeté, littéralement, dans la tombe d'Elisée (2 Rois 13- 21) ? Pourquoi n'avoir pas puisé dans le prophète Ézéchiel et ses visons d'ossements desséchés ? Ou bien Daniel ?
Emanuel Dadoun : À la base, le titre premier de mon roman était Le Goût sucré de l'amertume. C'est mon éditeur qui m'a proposé et conseillé de changer de titre. Pour lui, Lazarus témoignait plus de l'esprit rock'n roll du roman et du côté Mexique religieux. C'est dire, que la référence biblique n'était que secondaire... L'objet premier était de parler surtout du chômage et des licenciements.

k-libre : Pourquoi le Mexique alors, et ce Mexique religieux qui plus est ? Pourquoi, précisément, dans cette articulation avec ce personnage, tant comme nécessité narrative que stylistique ? Comment l'un et l'autre s'imposaient-ils dans la fiction que vous vouliez créer ?
Emanuel Dadoun : Le Mexique, cela m'est venu comme ça, "naturellement". J'ai lu pas mal de livres de Castaneda et sur le chamanisme en général (d'un point de vue sociologique), il y a quelques années. J'imagine que cela a surnagé de manière inconsciente. Je ne sais pas vraiment... J'avais pensé les choses comme une variation sur Le Mystère de la chambre jaune de Leroux. Comment le tueur peut-il tuer puisqu'il est déjà mort ? Quand j'écris, j'ai des scènes et des lieux qui apparaissent comme "ça", par flash. Cela est à peine contrôlé et tient plus de la peinture qu'autre chose.

k-libre : Pourquoi vouliez-vous que le tueur soit un mort-vivant ? Pourquoi ce thème ? Quelles contraintes stylistiques cela apportait-il ? Comment ces contraintes servaient-elles ou modifiaient votre dessein de romancier, dans ce genre-là en outre, plutôt qu'un autre ?
Emanuel Dadoun : Il fallait que je rentre dans une "logique du fantastique". André Breton disait "ce qu'il y a d'admirable dans le fantastique c'est qu'il n'y a plus de fantastique, il n'y a que le réel". Grosso modo, et pour reprendre le thème du Mystère de la chambre jaune (une victime dans une pièce sans porte ni fenêtre, et la question de savoir comment a fait le tueur), la contrainte était : comment un tueur peut-il tuer en étant déjà mort ? Du coup, j'ai été obligé de faire entrer du fantastique. À la base, mon roman était morcelé. Il y avait des passages de SF, de poésie, de réflexions sociologiques, etc. J'ai été obligé de resserrer l'intrigue pour la faire entrer dans la "contrainte" du polar (une enquête, une ville, la mort, des personnages coincés dans leur être, etc.). C'était aussi une manière de dire qu'une ville est composée de zombies. Une manière de pointer le fait que beaucoup de gens vivent une vie sans saveur. Pour reprendre une citation de l'Abbé Gassendi : "Je suis né sans savoir pourquoi, j'ai vécu sans savoir comment, je meurs sans savoir pourquoi ni comment." Si contrainte il y a eu, elle était plutôt d'ordre logique. Ce qui fait sens... Disons que j'ai forcé le genre "polar" à se plier au style littéraire. Je voulais confronter une certaine écriture "classique" avec un thème "fantastique". En fait, j'ai gardé à l'esprit les romans de gare. Pour moi, Lazarus est un roman de gare, mais littéraire. Ensuite, le thème du mort-vivant est porteur de beaucoup de signifiants : on peut devenir un "peu" mort-vivant en passant vingt-quatre heures devant sa télé, à ingurgiter de la trash TV... On peut devenir mort-vivant en sombrant dans la drogue, l'alcoolisme... Oublier de vivre, tout simplement. Et il me semble qu'une des crises majeures de notre époque est cet "oublier de vivre"... Oser sentir ce qu'on ressent, manger ce qu'on veut manger... Au lieu d'être gavé par la bêtise, les hamburgers, etc. Au même titre que le polar est politique en son fond (dénonciation d'une certaine déliquescence, des injustices, crise de la morale comme dans les livres de David Peace ou Dennis Lehane), je pense que le thème du zombie est vraiment un thème politique. Ce n'est plus du fantastique, c'est du réel. D'ailleurs le thème du zombie est souvent associé à la ville et à la société de consommation (comme dans les films de G. Romero). Ensuite, et pour répondre aux contraintes stylistique (le peu qu'il y a eu), j'ai été obligé d'écourter mes phrases et de me restreindre dans mon "lyrisme". De faire en sorte que le début du roman qui commence classiquement comme un polar "dégénère" en quelque chose de plus fantastique, voire "grandguignolesque". Je l'assume, ayant voulu faire un clin d'œil aux séries Z de mon enfance et aux films d'horreur à petit budget... Des lecteurs ont pointé ici ou là dans mon livre quelques invraisemblances. Bon... Oui, il y en a peut-être, mais cela tient aussi au fait que j'ai fait passer le réel derrière le fantastique, en second plan. Plus "psychanalytiquement", au même titre qu'on aime les autres quand on s'aime, on tue les gens quand on se tue, on hait les gens quand on se hait soi-même... C'est ça qui arrive avec mon tueur, Piquier. Avant de vivre il était déjà mort, ayant oublié de vivre. Il tue parce qu'on l'a tué par le biais de l'entreprise, matrice à formater les esprits. Il tue parce qu'il se tue lui-même à petit feu. De formation classique, j'ai voulu que mon style "classique" et poétique épouse les contours d'un mal-être.

k-libre : Trois remarques et une question, pour finir... Quand vous affirmez avoir voulu écrire un roman de gare intercepté par le genre du fantastique, vous me rappelez le Gombrowicz des Envoûtés, faisant subir un double travail à sa langue pour répondre à un cahier des charges précis : celui d'écrire un feuilleton populaire fantastique pour le Journal du Soir de Varsovie, lu surtout par les chauffeurs de taxi, ce qui constituait une belle gageure pour un écrivain de sa trempe ! La seconde remarque concerne cette torsion qu'il fait subir au genre, assignant le fantastique dans la langue du réalisme romanesque "presque" le plus classique. Ce qui me conduit à vous dire que je ne suis d'accord avec vous lorsque vous affirmez que vous avez fait passer le réel derrière le fantastique : votre roman épouse au contraire une ligne narrative très réaliste, sauf à la fin, où le fantastique déborde les codes du genre policier pour déboucher dans un style qui n'est pas sans rappeler en effet les films de zombies des séries B. J'aime enfin que vous évoquiez la figure du Zombie plutôt que celle de Lazare, car elle convient mieux à votre projet que celle du Saint, non pas ressuscité au demeurant, mais relevé à la vie. Mais ma question concernera l'arrière-plan politique de votre discours. Charles Reznikoff, un poète new-yorkais, avait construit une pièce poétique – Holocauste -, à partir du Procès de Nuremberg et de celui d'Eichmann, à Jérusalem. Sur les raisons de son travail, il disait qu'il s'agissait moins d'inventer que de ressentir. C'est cette question qui m'importe : celle, au fond, d'un déplacement de la langue vers une construction poétique, disons. S'agissait-il ainsi pour vous de transcender une dimension que vous jugiez trop étriquée du discours politique par une écriture poétique pour tenter d'en refonder le sens, sinon l'émotion, plutôt que les principes ? Mais alors, en quoi le poétique inscrit-il du politique dans cette forme d'un texte dont vous nous demandez de penser qu'elle permet, par un effet d'élucidation, de toucher le réel au plus près ?
Emanuel Dadoun : Houla... Belle référence que celle de Gombrowicz (dont je n'ai lu malheureusement que La Pornographie). Oui vous avez effectivement raison. En fait je me suis fait mal comprendre. Vous avez raison : d'un point narratif, la ligne est plutôt réaliste et au final le "fantastique" sourd en filigrane. Mais quant au sujet, il me semble que la thématique du zombie vient empiéter de manière "humoristique" et "naïve" sur l'enquête policière elle-même et le contexte. Pour ce qui est de Lazare, elle vient en partie de ce que j'avais déjà à l'esprit le Mexique et donc un "socle" chrétien, voire "christique"... Lazare est là pour souligner l'importance de Jésus et de la Bible (Le Nouveau testament) dans la société mexicaine et dans cet espèce d'animisme dont elle est teintée. Et puis, au fond ce Piquier mort a été ressuscité comme un mort pour ensuite retourner à la mort. Une sorte d'annulation d'une annulation d'une annulation ad aeternam... Pour ce qui est de votre référence à Charles Reznikoff (que je ne connaissais pas) elle est là encore pertinente. Il est vrai que mes "passages poétiques" et "lyriques" visent plus le ressentir qu'autre chose. Et je ne veux pas tant donner à imaginer que faire sentir quelque chose. Pour ce qui est du déplacement de la langue, il me semble qu'il est naturel. Que la langue se "déplace d'elle-même" au fur et à mesure de mon récit, de mon écriture... Parfois, je pars d'une base très classique et la trame glisse d'elle-même vers du burlesque, du naïf, du "grossier", du poétique... Avant de s'appeler Lazarus, et alors que j'étais encore en écriture, le roman présentait beaucoup d'éléments surréalistes à la façon d'un Roussel (excusez du peu)... Cette manière de déraper et de partir dans des digressions sans perdre le fil du récit… Une sorte de jeu personnel... Un private joke très "élitiste", "privatif"... Pour ce qui est de votre ultime question (une dissertation philosophique à elle toute seule) : "Mais alors, en quoi le poétique inscrit-il du politique dans cette forme d'un texte dont vous nous demandez de penser qu'elle permet, par un effet d'élucidation, de toucher le réel au plus près ?" J'ai un peu de mal à répondre... Je parlais du polar comme "littérature politique"... Je pense aussi à Lucrèce et son De Rerum Natura qui est un long poème en prose où il s'agit de faire "passer la pilule de l'amertume de l'existence" avec des mots de miel... Je ne demande pas grand-chose aux lecteurs. De la connivence, de l'humour et de rester eux-mêmes... Je pense cependant que la poésie touche le réel au plus près. En ce qui me concerne, j'ai voulu me dégager du réel, l'éloigner pour mettre le fantastique comme fonction politique.


Liens : Emanuel Dadoun | Lazarus Propos recueillis par Joël Jégouzo

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