L'Effroyable crime des sœurs Papin

Comme tous le défenseurs de l'ordre républicain, les obsédés de la laïcité, il court après le grand méchant loup sans voir que le vrai danger pour leur sacro-sainte sécurité nationale a le visage rassurant d'un médecin de famille.
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Essai - Policier

L'Effroyable crime des sœurs Papin

Assassinat - Faits divers MAJ mercredi 23 mars 2011

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Public connaisseur

Prix: 18 €

Frédéric Chauvaud
Paris : Larousse, avril 2010
240 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-03-584589-4

Le troisième personnage dans le crime des sœurs Papin

Frédéric Chauvaud est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Poitiers. Outre une liste impressionnante de directions d'études, de colloques et de publications en revue, ce spécialiste des faits divers a déjà publié De Pierre Rivière à Landru (1996) et Histoire et actualité de la Haine (2008). Il nous livre aujourd'hui un nouveau travail : L'Effroyable crime des sœurs Papin dans la très compétente collection de chez Larousse "L'Histoire comme un roman" et sous la direction éditoriale de Jean-Yves Le Naour dont, entre parenthèses, on ne louera jamais assez l'originalité des sujets sur lesquels il travaille : la disparition du corps du Maréchal Pétain, l'épidémie de lettres anonymes à Tulle, le mystère du soldat inconnu vivant, ou les tribulations d'une nouvelle Jeanne d'Arc vendéenne pendant la Première Guerre mondiale.
En ce qui concerne les sœurs Papin, les titres sont déjà abondants : du fameux Le Diable dans la peau de la mancelle Paulette Houdyer qui a connu personnellement l'affaire et qui parvint à mettre la main sur le fameux rapport en double que le greffier Bouttier amassa sur l'enquête et qui fut retrouvé dans un grenier, au très compétent dossier L'Affaire Papin de Sophie Darblade chez De Vecchi sans oublier la pièce Les Bonnes de Jean Genet et cinq films. Que peut donc apporter ce nouveau titre ?
"J'avais travaillé à plusieurs reprises sur les femmes criminelles, raconte Frédéric Chauvaud dans un entretien à Ouest-France. Comme, jusqu'à présent, les livres parus sur l'affaire étaient plutôt attachés au côté psychologique de l'affaire ou l'avaient romancée comme celui de Paulette Houdyer, il était intéressant de travailler sur la part d'ombre [...] Il s'agit d'un couple mais un couple psychologique, pas charnel. J'ai interrogé sur ce sujet des psychologues et psychiatres spécialistes de la paranoïa : il n'y a pas d'exemple de passage à l'acte d'un couple amoureux de même sexe [...] J'ai consulté la presse locale de l'époque à la médiathèque du Mans et j'ai aussi travaillé à la Bibliothèque Nationale. Les recherches m'ont pris un an."
Rappelons rapidement les faits pour les rares lecteurs ignorant encore cette retentissante histoire criminelle. Le 2 février 1933, appelée par le mari qui a trouvé sa porte fermée, la police du Mans découvre sur le palier d'une grosse maison bourgeoise plongée dans l'obscurité, les cadavres massacrés de Mme Léonie Lancelin et de sa fille Geneviève. Les deux femmes ont été défigurées à coups de marteau et de couteau, les deux yeux de la fille et un œil de la mère ont été arrachés. L'un d'eux a roulé en bas de l'escalier. Les murs sont couverts d'éclaboussures de sang tandis que sur le sol, mélangé à des débris organiques, traînent de nombreuses épingles à cheveux, des peignes et un gros pot en étain défoncé. Les deux bonnes de la maison, Christine Papin, vingt-huit ans, et sa sœur Léa, vingt et un ans, sont retrouvées prostrées dans leur chambre fermée à clé au deuxième étage. Elles sont en peignoir. Par terre, un marteau et un couteau. En état de choc, elles avouent les meurtres. Oui, les plombs ont fondu et, visiblement, pas seulement ceux de la maison.
Frédéric Chauvaud va s'intéresser au parcours des deux jeunes filles dans un livre au découpage impeccable aux titres et sous-titres motivants. Issues d'un mariage malheureux (mère indifférente, père alcoolique), les trois filles Papin subissent un divorce douloureux apparemment causé par les attouchements du père sur l'aînée, Émilia. La mère place les deux aînées, Émilia et Christine dans la congrégation du Bon-Pasteur à Angers où on leur apprend à être soumises et à bien faire les travaux ménagers. Émilia va entrer dans les ordres. Christine est placée dans diverses maisons par sa mère divorcée qui a gardé Léa avec elle. Christine est une "perle". Elle a gardé une affection débordante pour sa jeune sœur, plus limitée qu'elle, et la fera employer chez les Lancelin où elles resteront sept ans. Elles coupent les ponts avec leur mère qui entendait profiter de leurs gages. Elles économisent, elles se paient de beaux vêtements, vont à la messe tous les dimanches. Elles n'ont aucun projet matrimonial et s'enferment de plus en plus dans leur bulle. Il semble que les rapports soient bons avec Mme Lancelin qu'elles appellent même parfois "maman" et qui prit même leur défense devant les tentatives de reprise de contact de la vraie mère.
Avec ces terribles meurtres, c'est l'irruption de la violence la plus folle au sein de la bourgeoisie mancelle présentée par la presse parisienne comme un milieu triste et mesquin. À quoi peut-on s'attendre de la part du personnel quand on compte les morceaux les sucres, qu'on trace subrepticement à l'ongle le niveau des bouteilles sur les étiquettes ou qu'on enfile un gant blanc pour voir s'il reste des poussières ? Auparavant, c'était surtout les domestiques de campagne réduits presque à l'état d'esclaves qui passaient à l'acte. Les plus innocents s'avérant parfois les plus meurtriers comme Marcel Redureau qui, a quinze ans en 1913, massacra la famille Mabit et une bonne, soit sept personnes à coups de serpe, ou les jeunes vachers Richard Jacques et Joseph Viennois (seize ans) auteurs de la tuerie de Jully en 1909. Et voilà qu'avec les sœurs Papin, le crime ancillaire entrait dans les salons. André Salmon pour "Le Petit Parisien" et les plumes anonymes de "L'Humanité" ne furent pas les seuls à monter les sœurs Papin sur le podium de la révolution du prolétariat. Ces thèses furent reprises souvent par des auteurs prestigieux comme Genet, Sartre et Beauvoir, sans oublier les surréalistes qui ne pouvaient que se montrer fascinés par cette histoire d'yeux arrachés. De nos jours, René Réouven dans son mythique Dictionnaire des assassins (Denoël, 1974) développe lui aussi cette version sociale dans son article sur les sœurs Papin.
Frédéric Chauvaud s'appuie donc sur les récits des journaux et les nombreux documents photographiques qu'il décrit avec force détails, nous faisant oublier notre regret de ne pas les voir "de visu" dans son livre - un cahier central aurait été le bienvenu. Il a le mérite de replacer les événements dans leur contexte comme le magnifique passage sur l'enterrement de Geneviève Lancelin et de sa mère dont les deux corbillards, aux chevaux caparaçonnés de blanc pour la première et de noir pour la seconde, se dirigent à pas lents vers la cathédrale, quatre jours plus tard, sous les yeux de la population assemblée. L'auteur s'attache à "la logique d'un geste" car il s'avère que l'une des sœurs a nettoyé un couteau ce qui nie la folie. Il pointe aussi l'amateurisme de la police qui observa grossièrement les traces, et même les piétina pour accéder à la chambre de bonnes. On tenait les coupables, donc on n'examina pas assez les projections de sang et les mille et un objets qui parsemaient la scène du crime et qui pouvaient renseigner sur les déplacements des deux sœurs.
Car, si la culpabilité des sœurs Papin est avérée, la grande question du procès portera sur leur responsabilité. Le médecin légiste confirme que les yeux ont été arrachés avec les doigts ce qui est unique dans les annales et ravale les criminelles "au rang de représentantes d'une peuplade barbare". Un journaliste commentera simplement que "Christine a arraché les yeux de sa patronne de la même manière qu'elle le faisait aux lapins qu'elle préparait pour le repas". Outre cette grande question de la responsabilité mentale, un autre aspect gêne l'enquête : le caractère sexuel de certaines blessures. Les Papin ont relevé les jupes et baissé les pantalons de leurs victimes. La fille avait une protection périodique et le haut des cuisses de la mère fut enduit de sang (traces de mains à l'intérieur des cuisses). Les jambes et les fesses furent striées de plaies horizontales profondes. "Si l'aspect sexuel du crime ne fait pas de doute, quelle importance faut-il lui accorder et quelle interprétation peut-on lui donner", écrit Frédéric Chauvaud. "Le docteur Chartier n'en dit mot, les experts psychiatres pas davantage." (p. 109). Lors de l'enquête, personne ne s'appesantira sur ces questions gênantes.
Un autre soupçon court, Christine et Léa auraient des relations incestueuses. C'est même sur ce postulat que repose le motif du crime d'après Paulette Houdyer. Mme Lancelin et sa fille auraient surpris les sœurs Papin en plein ébat et auraient été massacrées pour en avoir trop vu. Frédéric Chauvaud réfute cette hypothèse en avançant que les sorties des dames Lancelin étaient réglées comme du papier à musique et que les sœurs n'auraient jamais commis une telle imprudence. Néanmoins, ce n'est que lors du procès que le président osera demander à Christine puis à Léa si leurs relations dépassent les bases fraternelles. Elles le nieront.
Les sœurs donnent comme explication que Mme Lancelin s'est montrée violente auprès de Christine venue à sa rencontre lui apprendre que le fer à repasser avait encore fait sauter les plombs. Mme Lancelin se serait alors jetée sur Christine Papin qui l'aurait assommée avec un lourd pichet d'étain posé sur le palier. Geneviève Lancelin venant au secours de sa mère, Christine aurait appelé sa sœur à la rescousse en lui commandant de s'occuper de la mère, de lui frapper la tête contre le sol et de lui arracher les yeux ce à quoi Léa aurait aussitôt obéi.
Mais rien ne permet de prouver que Mme Lancelin, était une personne violente. Les sœurs racontent aussi un événement où celle-ci aurait pincé puis obligé Léa à se mettre à genoux pour prendre un bout de papier oublié par terre. Là aussi, cela ne semble pas correspondre au caractère de cette femme plutôt effacée. Les Papin mentent-elles ? Ont-elles bâti un scénario ou sont-elles victimes de délire ?
Frédéric Chauvaud met le doigt sur un événement à son avis très important qui a eu lieu deux années plus tôt. Ce jour-là, alors que la famille Lancelin était partie en vacances, les domestiques avaient mis leurs plus beaux habits pour se rendre à la Mairie. Christine avait demandé à ce que Léa soit émancipée. Elle se serait aussi plainte de violence. Cette scène aurait été le prémisse au crime car marquant le début d'une maladie de la persécution évoluant plus tard en paranoïa.
L'avis des aliénistes est primordial pendant le procès. Frédéric Chauvaud écrit, page 200 : "L'un des arguments qui a porté, du moins lors du procès, est celui de l'impossibilité de la folie à deux. Jamais on n'a vu, dit en substance le docteur Schutzenberger, deux personnes devenir simultanément folles. Si l'une des deux sœurs avait été atteinte de folie, elle aurait pu entraîner l'autre dans son cauchemar diabolique qui aurait pu alors sombrer dans l'aliénation mentale. Mais toutes deux, d'un commun accord, ont essayé de donner une version de leur participation au crime qui les exonérait en partie. De la sorte, elles ne sont pas folles car 'il faudrait admettre qu'elles le sont devenues le même jour à la même seconde. Or, ceci est sans exemple'."
Pourtant, en prison, Christine est victime d'une violente crise de rage qui va provoquer une nouvelle déposition. Elle reviendra sur son affirmation d'une attaque physique de Mme Lancelin. Cette crise sera pourtant jugée comme une simulation de Christine pour se faire passer pour folle, sauver sa tête et innocenter sa sœur.
Le fameux docteur Logre, appelé par la défense, n'a pas examiné directement les sœurs mais il va jeter une petite bombe dans le prétoire. Frédéric Chauvaud la raconte page 198 par la plume du journaliste Martin-Chauffier : "On imagine combien, chacun ressentant plus vivement encore que les siennes les humiliations de sa sœur, devaient se multiplier en se réfléchissant les rancunes de ce couple qui, en quelque sorte, constituait un troisième et monstrueux personnage. Le docteur Logre, expert de la défense, a seul, dans une remarquable déposition, posé l'existence de ce troisième personnage qui est, je pense, le véritable meurtrier." Dans une fiche de son livre L'Affaire Papin, Sophie Darblade nous renseigne sur le parcours de ce scientifique. Né à Lisieux en 1889, Logre s'inscrit à la Sorbonne et à la faculté de médecine de Paris dont il sort docteur. Titulaire d'une licence ès lettres, mention philosophie "il entre à la préfecture de police de la Seine comme délégué au médecin adjoint, pour finir médecin-chef en 1934 [...] Le docteur Logre fait partie des premiers psychiatres à porter un réel intérêt à la psychanalyse." (p. 97). Il demandera un nouvel examen mental des prévenues qui sera refusé.
Cette théorie du "troisième personnage" formé par l'entité des deux sœurs Papin sera l'événement déclencheur d'une flopée d'articles remettant en cause la psychiatrie traditionnelle. Grâce notamment aux frères Jérôme et Jean Tharaud, qui signent des romans célèbres à quatre mains et qui couvrent le procès, la psychanalyse va se trouver dans toute la presse. Point culminant, l'article rédigé par le jeune psychanalyste Jacques Lacan dans la revue surréaliste "Le Minotaure" qui, à la fin de l'année 1933, prend l'affaire Papin comme exemple sous le titre Motifs du crime paranoïaque.
Le 30 septembre, Christine Papin est condamnée à mort, sa sœur Léa à dix ans de travaux forcés et vingt ans d'interdiction de séjour. Leur pourvoi en cassation sera rejeté. Le Président Albert Lebrun gracie Christine "et sa peine est commuée en celle des travaux forcés à perpétuité".
Dès mai 1934, nous apprend Frédéric Chauvaud, le docteur Porès, médecin de la maison centrale "certifie que l'état mental de la détenue Papin Christine nécessite l'examen d'urgence par le médecin aliéniste". Christine refuse de s'alimenter, tient des propos délirants. "Le psychiatre établit alors un diagnostic de schizophrénie". Christine Papin meurt en 1937. Quant à Léa "libérée en 1943, elle est interdite de séjour dans une vingtaine de départements et arrondissements. Elle rejoint sa mère à Nantes et devient couturière. Son père meurt en 1950, sa mère en 1957, sa sœur Émilia qu'elle n'a jamais revue en 1981". Léa Papin mourra à Nantes dans une maison de retraite en 2001, date stupéfiante qui nous fait perdre la notion du temps.

À noter : "Les sœurs Papin" est l'un des chapitres traités dans le magnifique livre objet Les Grandes affaires criminelles publié aussi chez Larousse (collection "Les Documents de l'Histoire"). Outre un résumé, on y trouvera des photos de procès, de une de magazines, de la maison des crimes mais surtout le fac-similé en taille réelle (sous pochette cellophane) du rapport médico-légal du docteur Chartier, document époustouflant de vérité.

Citation

Des membres tailladés et des visages anéantis ne sont pas les seules blessures observées sur les deux cadavres.

Rédacteur: Michel Amelin mercredi 23 mars 2011
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