Contenu
Veuve Becker : la première serial-killer
Grand format
Réédition
Tout public
250 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-87462-055-3
Coll. "Obscuria"
La veuve Becker, reine de la digitaline
Comment une telle criminelle comme Marie Petitjean, veuve Becker, a-t-elle pu susciter aussi peu d'écrits posthumes ? Son procès, le 7 juin 1938, a pourtant suscité un émoi considérable en Belgique et dans le monde entier. Mais la Deuxième Guerre mondiale a supplanté en horreur la meurtrière aux onze victimes...
Le seul ouvrage moderne qui lui est consacré : Veuve Becker : la première serial-killer par Élisabeth Lange est réédité aux éditions de l'Arbre dans "Obscuria", une collection à la maquette quelque peu racoleuse. L'auteur a écrit de nombreux "Marabout Flash" publiés dans les années 1970 qui vont du Secrétaire idéal (1957) au Guide pratique de l'entretien des sols (1976) en passant par Je cuisine vite (1959) et Congélation (1977). C'est la première fois qu'elle signe un ouvrage à caractère historique. Travail de retraite ? Il faut dire que Marie Becker a sévi à Liège où réside justement Élisabeth Lange (qui porte d'ailleurs le même nom qu'une veuve empoisonnée le 26 septembre 1936).
En 1895, Marie Petitjean, seize ans, part dans la "grande ville". La petite couturière court les bals. Elle épouse l'un des héritiers d'une scierie mais la famille la prend en grippe. Devenue veuve en 1906, Marie Becker dilapide son héritage et se convertit en couturière à la journée, fonction beaucoup plus valorisante que celle de couturière salariée. Elle travaille chez les particuliers et déjeune avec ses employeuses. L'ambiance est bon enfant et propice aux discussions. Marie Becker, charmeuse et attentive, est aussi menteuse. Parallèlement à son activité, elle "fait la vie" et collectionne les amants. L'âge venant, elle prend même de jeunes gigolos. Marie Becker dérobe des bibelots à ses employeuses, puis du linge, des actions au porteur. Elle passe à la digitaline, qu'elle se procure auprès de pharmaciens sous prétexte d'une maladie de cœur. En 1933, elle empoisonne une amie pour obtenir les faveurs de son mari, puis un fiancé en 1935. Puis sa logeuse, en mars 1935, complice lors de vente d'actions au porteur et de bijoux au mont-de-piété. En mai, toujours de l'année 1935, elle empoisonne une veuve. Deux semaines plus tard une autre femme, en septembre une autre veuve, en novembre, une autre. En 1936, prise de frénésie, elle empoisonne une vieille fille le 7 mai, puis trois autres veuves le 20 septembre, le 26 septembre et le 2 octobre.
Ses victimes, repérées par bavardages, sont souvent des femmes un peu aisées, veuves ou célibataires. Marie Becker gagne leur confiance et mélange la digitaline au thé qui cache le goût amer du poison. Marie Becker reste présente jusqu'au bout, jouant les amies inquiètes. Quatre femmes et un homme vont quand même s'en sortir. Ils seront cités au procès. Quand la famille vide armoires et tiroirs après la mort de la victime, il n'y a plus rien. Une première lettre anonyme inquiète Marie Becker. Elle s'en tirera faute de preuves. Une deuxième, quelques années plus tard, aura raison d'elle.
Si, pour ce parcours criminel, Élisabeth Lange utilise des ficelles romanesques, elle s'appuie sur les transcriptions des archives pour la quatrième partie qui concerne le procès. Marie Becker nie. Cette femme de cinquante-neuf ans incarcérée depuis dix-huit mois est une forte tête et une grande comédienne. Le procès est un marathon : trois cent quatorze témoins cités ! L'emploi de la digitaline ne simplifie pas les choses pour les experts car le produit laisse peu de traces. Les jurés doivent répondre à soixante-seize questions. Marie Becker est condamnée à mort, aux frais de justice et à la confiscation du flacon de digitaline trouvé dans son sac lors de son arrestation !
Graciée par le roi, elle mourra en prison, quatre ans plus tard, le 11 juin 1942.
Élisabeth Lange n'a pas ménagé ses efforts pour retracer le périple de la grande criminelle. Elle remercie ses contacts en postface ; des historiens locaux, un président de Cour d'Appel, des avocats, un député, et un Conservateur des Archives ainsi que tous les habitants qui "avec tant de serviabilité, [lui] ont permis de fouiller dans la mémoire du temps où sévit la veuve Becker...". C'est donc avant tout un travail d'historien local, long et pointilleux qu'elle a fourni. Même si le livre peut paraître parfois bancal, malgré son écriture claire, surtout dans sa première partie où l'auteur ne peut faire que des suppositions à partir des données récoltées, il n'en constitue pas moins un formidable témoignage sur un pays, une époque et surtout une certaine tranche de la société où la bourgeoisie urbaine commence à émerger. En sous-thème, on peut apprécier aussi l'itinéraire de cette femme qui veut échapper aux contraintes de son sexe et de ses origines en passant par l'hyper-puissance du meurtre.
Dans une annexe bienvenue intitulée "En ce temps là...", Élisabeth Lange retrace aussi les événements historiques contemporains de cette criminelle destinée. Elle boucle ainsi un récit agréable qui sait jouer sur l'anecdotique, avec les citations des journaux notamment, tout en collant aux échanges pendant le procès. Reste que Marie-Alexandrine Petitjean, veuve Becker, même si elle fut une minable escroc, conserve une très grande part de mystère dans sa série de crimes.
Citation
La veuve Becker a-t-elle pris conscience que tout était consommé ? C'est une épave entre deux gendarmes.