Le Voleur de crimes : l'Affaire Léger

Personnellement, je ressemble un peu à une huître. Il y a des années de cela, en janvier 1933 pour être précis, un morceau de sable s'est introduit dans ma coquille et a commencé à m'agacer. Mais s'il y a une perle en moi, c'est sans doute une perle noire. Franchement, j'ai fait durant la guerre deux ou trois choses dont je ne suis pas fier. Rien d'inhabituel. C'est ça la guerre.
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Essai - Policier

Le Voleur de crimes : l'Affaire Léger

Assassinat - Faits divers MAJ jeudi 01 mars 2012

Note accordée au livre: 2 sur 5

Grand format
Inédit

Public connaisseur

Prix: 22 €

Stéphane Troplain & Jean-Louis Ivani
Paris : Ravin bleu, janvier 2012
692 p. ;
ISBN 978-2-911965-03-6

Léger, c'est du lourd !

Une belle maquette reproduit un Photomaton (trouvé chez lui lors de la perquisition) de "L'étrangleur n° 1" braquant vers l'objectif un pistolet jouet. Le titre a été emprunté à Nadine Trintignant qui a intitulé ainsi son film inspiré par l'affaire et qui est sorti en 1969. Étonnement devant ce pavé de près de sept cents pages, écrit tout petit, très serré et lesté d'un très motivant cahier photos. Les quinze chapitres, titrés avec originalité, sont subdivisés en sous-chapitres eux-mêmes titrés mais sans aucun saut de page et sans table des matières détaillée comme l'aurait fait un universitaire. Voilà un texte hyper dense consacré à l'une des plus grandes affaires criminelles du XXe siècle. Le livre s'ouvre sur un prologue de dix-sept pages qui plombe la lecture avant le récit proprement dit qui ne débute qu'au chapitre 2 (p. 47). Il se termine de même sur un épilogue de vingt-cinq pages qui ne parvient pas à boucler. Gros défauts de structure donc. Sans doute à l'image de cette affaire folle...

Le 27 mai 1964, le corps de Luc Taron, onze ans, est découvert au pied d'un arbre dans une forêt de l'Essonne. Malgré ses marques au cou, il semble avoir été étouffé par une pression contre l'humus. Pas de désordre dans ses vêtements. Très vite, un corbeau contacte les médias en disposant des lettres sur le pare-brise de voitures, puis en les envoyant par pneumatique aux journaux, aux radios et aux enquêteurs. Pour prouver que c'est bien lui "l'étrangleur n° 1", il convient d'un code, donne des détails que la police n'a jamais mentionnés comme un bobo sur le genou soigné au mercurochrome ou une édition reliée de Bugs Bunny que possédait l'enfant lors de sa fugue. Plus de cinquante lettres ergotent sur la position du cadavre reproduit dans la presse, promettent d'autres meurtres, donnent des consignes pour réunir des rançons, attaquent le père de la victime, contredisent les journalistes et la police sans oublier de critiquer le gouvernement... Quarante jours de grands titres dans la presse plus tard, un élève infirmier psychiatrique de vingt-sept ans, Lucien Léger (service militaire en Algérie, ex-magasinier chez Denoël, marié à une jeune fille dépressive hospitalisée) contacte la police au sujet de sa 2CV soit disant volée et retrouvée tachée de sang avec un message de l'étrangleur. Pressé de questions, il avoue être le corbeau. Jugé en 1966, il évitera la peine de mort mais passera plus de quarante ans en prison, incarnant le record de la détention en France. Lucien Léger meurt en 2008, trois ans après avoir recouvré la liberté.
"Cet ouvrage est le fruit de cinq années de recherches." Stéphane Troplain, qui présida le Comité de Soutien à Lucien Léger et le journaliste Jean-Louis Ivani retranscrivent toutes les lettres, détaillent les interrogatoires, rencontrent les protagonistes encore vivants et, surtout, dressent un incroyable état de la presse de l'époque. Car, même s'ils collaborent avec la police, les journalistes, très aidés par le corbeau, n'hésitent pas mener de véritables enquêtes parallèles. Il en résulte des pages et des pages qui reviennent sur le même épisode crucial (le retour d'école de l'enfant, le trajet dans la forêt) faisant écho aux indications de Lucien Léger dans ses lettres. Les enquêteurs travaillent sur des preuves matérielles comme le blouson de l'enfant ou son numéro relié de Bugs Bunny (une enquête digne de F.W. Crofts), mais aussi immatérielles comme l'emploi du temps flou des parents. Mais ces éléments bien précis sont dynamités par les dires de l'assassin qui se joue de la vérité, invente de nouvelles pistes, en refuse d'autres, s'accuse puis s'innocente. Le comble étant atteint par le doute sur la culpabilité des parents. Le tout déjà complexe est caviardé par les différents points de vue multipliés par la presse et la radio ainsi que la question des auteurs sur la réelle responsabilité de Lucien Léger (a-t-il vraiment tué ?).

Impossible de résumer ici la tentaculaire enquête d'Ivani et Troplain qui touche aussi la plupart des aspects de ces années gaulliennes marquées par les événements d'Algérie et le boom des Trente glorieuses. C'est justement le reproche. Les auteurs, à trop vouloir être exhaustifs, noient les pépites dans un maelström. Ils ne pensent plus au lecteur ! Ils empilent comme un juge des tutelles en plein burn out. À l'exemple des lettres de Léger qui deviennent de plus en plus longues, pointilleuses et délirantes, on s'égare, on ressasse, on perd le fil. Quel est l'objectif premier de ce livre ? Innocenter Léger ? Dénoncer le système judiciaire, la trop longue incarcération, l'emprise des médias, le droit à l'affabulation ? Il manque une structure solide et organisée, un point de vue unique qui aurait fait le tri. Il y a trop de livres dans Le Voleur de crimes. Comme si, en explicitant le parcours de Lucien Léger, les auteurs avaient été contaminés par sa folie littéraire.

Citation

Aussi, de même que 'l'homme en bleu' ne correspondait pas au scénario du meurtre raconté par Lucien Léger alias l'Étrangleur, sa réapparition sous les traits d'un ex-flic épris de littérature menaçait l'intégrité de la vérité si laborieusement construite par les enquêteurs du SRPJ et par le juge Seligman.

Rédacteur: Michel Amelin mercredi 29 février 2012
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