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Les Poètes morts n’écrivent pas de romans policiers
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du suédois par Philippe Bouquet
Paris : Grasset, octobre 2012
490 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-246-78452-4
Actualités
- 27/02 Édition: Parutions de la semaine - 27 février
- 14/03 Auteur: Björn Larsson : avis de traducteur
Le dernier Björn Larsson devrait contenter à la fois les amateurs de romans policiers (puisqu'on y trouve un meurtre et une enquête, et que l'énigme est même résolue – que peut-on demander de plus), et ceux qui aiment que la littérature soit autre chose qu'un divertissement, voire qu'elle les incite à l'exploitation d'un monde nouveau et, pourquoi pas, à la réflexion. Ceux-ci en auront aussi pour leur argent, du moins s'ils jugent bon qu'un roman s'intéresse à la littérature en tant que telle et aux conditions dans lesquelles elle s'exerce, sur le plan technique et commercial. Les Poètes morts n'écrivent pas de romans policiers est en effet une mine à ce point de vue. Non qu'il s'adonne à ce genre si pratiqué actuellement qu'est l'autofiction. Ce serait plutôt le contraire, puisque l'ensemble du spectre littéraire y est balayé, depuis le poète exigeant, fatalement solitaire et peu médiatisé, jusqu'à l'universitaire qui sait tout sur le sujet sans l'avoir jamais pratiqué, en passant par l'éditeur tiraillé entre des loyautés divergentes et le commissaire de police saisi par le démon littéraire comme monsieur Le Trouadec l'était par la débauche. Ceci donne lieu à un jeu de miroirs opposés qui devrait délecter les plus fanatiques partisans de la "mise en abîme", mais aussi ceux qui ne méprisent pas de bonnes parties de rigolade fût-ce sur le plus sérieux des sujets – car la mort, même d'un poète méconnu, c'est quand même du sérieux, non ? Les seuls qui n'y trouveront peut-être pas leur compte seront ceux qui n'apprécient pas l'humour, l'ironie, la satire, etc. Mais ceux-là peuvent toujours lire les écrits politiques ou les rapports de la Banque mondiale, fonds inépuisable et sans cesse renouvelé s'il en est. Depuis que le roman policier existe (et donc pas loin de deux siècles, selon certains), il n'est pas sûr qu'on ait déjà mis en scène un mobile aussi surprenant et littéraire. L'assassinat a certes déjà été présenté comme l'un des beaux-arts, mais sur le plan de l'exécution, pas sur celui de "l'ontologie phénoménologique sartrienne". Et si Tomas Tranströmer figure dans ce livre, qu'on se rassure : c'était avant qu'il obtienne le prix Nobel (la version française ayant mis deux ans et demi à nous parvenir). Voilà quelque bonnes raisons de lire ce livre – ou pas, c'est selon ; mais il est bon que ce soit en toute connaissance de cause dans les deux cas. Bonne lecture aux courageux kamikazes qui n'auront pas peur de se passer de dormir, de manger, voire de vivre (même si ce serait dommage) pendant quelques heures pour en savoir plus sur la littérature... sans jamais avoir osé le demander (air connu).
Philippe Bouquet
Liens : Philippe Bouquet |Björn Larsson
Le masque et la plume
Pour son premier roman policier, Björn Larsson n'a pas choisi les gros effets des imitateurs de Jo Nesbø ou Stieg Larsson : ici, on est plutôt dans le drame feutré, lent, presque Simenonien (malgré l'absence de descriptions d'atmosphère), aux confins de la littérature blanche et de la noire. Le thème est simple : malgré son talent, Jan Y. Nilsson a suivi la destinée des poètes plus ou moins maudits, jusqu'à ce que son éditeur Karl Petersen le convainque d'écrire un polar. Bien que le manuscrit soit inachevé, Petersen est sûr que le roman sera un succès et l'a vendu dans plusieurs pays. Mais lorsqu'il vient lui apporter son contrat, il retrouve le poète pendu. Première transgression, il imite l'écriture de Jan pour signer le contrat. Mais un stylo fiché dans le cou du mort démontre au policier Barck, qui se pique lui aussi de poésie, que Jan a été assassiné. Pourquoi ? Jan n'avait ni hériter ni ennemis... Et on ne tue pas les poètes, ils se suicident...
Autour de cette trame, Björn Larsson tisse une sorte de contrepoint au jouissif Le Vertige des auteurs de Georges Flipo, notamment à travers le personnage de Barck, flic dont l'amour de la poésie n'est pas récompensé par le talent… De même, la satire du milieu éditorial (souvent bien facile) promise reste légère : plus qu'un faiseur cynique dans l'air du temps, Petersen est plutôt un éditeur à l'ancienne, respectueux de ses auteurs, lui aussi un sincère amoureux de la littérature, non dépourvu de fulgurances, et qui se pose jusqu'au bout la question de savoir s'il faut ou non publier ce potentiel best-seller. Et si d'autres morts violentes suivront, celles-ci s'avèrent surprenantes tant on s'attache aux personnages (bien sûr, dévoiler qui y passe serait criminel !).
On regrettera quelques digressions un poil didactiques et une fin un rien abrupte, mais ce texte qui aborde des sujets graves avec un style simple mais soutenu, qu'on imagine excellemment traduit, change agréablement des "meurtres, traumatismes infantiles, alcoolisme et cuites sous toutes ses formes, le tout pimenté d'une bonne dose d'angoisse, telle était la spécialité de la littérature suédoise", s'il faut en croire l'auteur !
L'avis du traducteur
Citation
La poésie le fortifiait, c'était un vade-mecum permettant aux sentiments de se mettre en place et aux pensées de suivre d'autres voies que celles qu'il suivait en tant que policier, des voies sans issues, en l'occurrence.