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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais par Aurélie Tronchet
Paris : Calmann-Lévy, février 2013
320 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-7021-4443-5
Coll. "Robert Pépin présente"
Rude réveil
Souvent le titre reflète l'atmosphère générale d'un livre, et ici, sans être un grand devin, il est clairement fait référence à un autre sommeil, celui qu'initia Raymond Chandler et son détective Philip Marlowe dans Le Grand sommeil. Logique puisque ici aussi il s'agit d'un détective privé qui doit jongler entre ses clients, les truands et la police, tout en essayant de conserver sa dignité et sa morale. Pour Lennox cette morale n'est pas aussi chevaleresque que celle de Marlowe, mais il faut reconnaitre que la Seconde Guerre mondiale a légèrement transformé la donne et les esprits. Ce récit est le troisième volet d'une série présentant un Canadien démobilisé resté en Écosse, à Glasgow, et tentant d'y travailler. Le roman est d'ailleurs porté par un volonté stylistique, y compris dans le cynisme affiché de ses personnages de s'insérer dans cette filiation avec les grands maitres des années 1930.
Mais qui subit ce long et noir sommeil ? Est-ce le détective lui-même qui vivote, coincé entre un policier qui lui cherche des noises et un amour naissant pour sa logeuse, un amour qui n'ose s'avouer ? Sa logeuse qui devrait refaire sa vie après la mort de son mari et malgré l'apparition d'un beau-frère qui se croit certains droits ? Ou alors faut-il le chercher dans l'intrigue ? Avant-guerre, Strachan était l'une des figures marquantes de la pègre locale. Après une série de hold-up violents, il disparut soudain. Mais peut-on parler de réveil lorsqu'on découvre son corps en draguant le fleuve local ? Et quel est le rapport entre cette réapparition et les morts successives de ses anciens complices ? Les deux filles de Strachan veulent, elles aussi, sortir du sommeil car si leur père est bien mort, reste à découvrir qui leur envoie régulièrement depuis des années des sommes d'argent. Pourquoi se réveillent également, à ce moment-là, des méchants aux allures d'anciens commandos qui viennent pour étouffer toute l'affaire ? Beaucoup de questions en suspens qui attendent leur lot de réponses.
Inspiré (au sens premier, porté par l'esprit) par l'immédiate après-guerre et ce qu'elle permet de dresser - le portrait d'une région, d'un pays qui cherche à se reconstruire, sans trop se poser de questions sur les moyens d'y parvenir -, Un long et noir sommeil est une évocation sensible de l'Écosse industrielle, de ses bas-fonds, de sa vitalité et de ses aspects encore victoriens - la misère sociale, la police plus prompte à s'occuper des pauvres et des marginaux que de la grande criminalité. Craig Russel met à jour les contrastes entre le besoin d'aller de l'avant, le souci des racines (ici à travers son personnage de privé qui aimerait poser ses valises et fonder une famille), des volontés individuelles, et des barrières sociales très présentes et pesantes (le portrait de Strachan est aussi celui d'un dangereux criminel car, comme Fantômas, il est capable de passer d'un côté à l'autre des groupes sociaux, en changeant d'accent, en se faisant passer pour un noble ou un gangster). Craig Russell montre que les sociétés, comme les individus, sont parfois plongées dans de longs et noirs sommeils, finalement bien confortables et rassurants, mais qu'il faut bien un jour appréhender le réveil.
Citation
Au contraire, pour conforter son statut maintenant mythique de héros, il avait rejoint la version gangster de Glasgow du Walhalla. ce qui correspondait pour beaucoup à un bungalow de luxe sur la côte de Bournemouth ou un endroit similaire.