Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'islandais par Éric Boury
Paris : Points, novembre 2013
358 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7578-3707-8
Coll. "Policier", 3142
Miroir du monde ?
Nous sommes en Islande après la faillite du pays et la "révolution des casseroles", et nous retrouvons Einar, le journaliste aux faux airs de détective, divorcé et ancien alcoolique. L'intrigue, elle, se développe sur une double piste. Tout d'abord, Einar est témoin, dans une rue du centre de sa ville d'Akureyri, de la mort subite d'une factrice, Agda Sigurður, qu'il retrouve gisant sur le sol, apparemment étranglée par son foulard noué plusieurs fois autour de son cou. Près d'elle, un iPod sur lequel est enregistrée une seule chanson ("Angel Of the Morning", qui donne son titre au roman). D'autant plus curieux qu'elle est sourde. Peu après, sa voisine est cambriolée et laissée pour morte, et ses comptes en banque sont vidés (en fait elle a été grugée par des banquiers et des intermédiaires qui l'ont dépouillée).
Einar s'intéresserait volontiers à l'affaire mais son patron le rappelle au sérieux et au devoir : interviewer Ölver Margretarson Steinsson, l'un de ces "nouveaux Vikings" qui ont ruiné le pays par leurs spéculations, qui essaye maintenant de "trouver Dieu au fond de lui-même". Or, peu après, Margret Bara, la fille de celui-ci, est kidnappée. C'est le premier rapt d'enfant de l'histoire de l'Islande et la police est aussi débordée (car il ne manque pas de gens qui peuvent en vouloir à ce requin) que les médias sont déchaînés. Dans chaque chapitre, un passage nous décrit ce que vit l'enfant, pour la vie de laquelle les ravisseurs réclament... Vingt milliards de couronnes (fortement dévaluées, mais quand même) et une demande publique de pardon à la nation de la part de son père.
L'auteur mène de front les deux intrigues pour souligner la différence de traitement médiatique entre les deux affaires et les difficultés contraires auxquelles elles se heurtent : absence et excès d'intérêt de la part du public, le seul indice à portée de la main étant une jeep bleue qui pourrait avoir joué un rôle dans les deux cas.
Parallèlement, Sigurbjörg entreprend de rédiger la biographie d'un certain Rikki, le Chien du rock, vedette sur le retour, qui est l'exemple parfait de l'opportuniste de l'ère médiatique, malade de désir qu'on parle de lui ; et Margret, l'ex et peut-être future amie de cœur d'Einar, travaille pour sa part sur le côté financier de la crise, car elle est chargée de la liquidation juridique des affaire de Steinsson.
Qu'on se rassure, tous ces fils se noueront finalement comme il se doit, même si c'est au prix d'un "heureux hasard" comme le reconnaît l'auteur (n'est-ce pas le cas dans presque tous les romans policiers ?) mais aussi de façon fort astucieuse et surprenante. Lisez et vous verrez, car il serait impardonnable d'en dire plus. Au-delà de cette intrigue policière bien écrite, bien traduite, bien conduite, et donc toujours passionnante, nous avons ici affaire à une vaste mise en cause de notre société "libérale avancée", rongée par une plaie qui a pour nom égocentrisme, chacun ne se souciant plus que de son propre intérêt et se moquant totalement des autres. "Notre État de droit est-il encore digne de cette appellation ?" se demande l'un des personnages, qui poursuit : "Les honnêtes gens sont poursuivis parce qu'ils n'arrivent plus à payer leur maison et, pendant ce temps–là, ceux qui ont conduit la nation à la ruine [...] voient leurs dettes effacées et se pavanent avec le butin." Les médias sont eux aussi dénoncés comme largement responsables de cet état de fait par le goût du sensationnel qu'ils entretiennent et leur concentration croissante en un nombre réduit de mains (les deux journaux d'Akureyri sont ainsi montrés en train de fusionner). Tout cela nous rappelle des airs connus, n'est-ce pas ? Bien qu'elle soit l'un des plus petits pays au monde par la population (à peine une grande ville française), l'Islande en serait-elle le miroir ?
Ce n'est que l'une des nombreuses raisons de lire cet excellent polar qui dépasse de beaucoup les strictes limites de la catégorie, comme c'est toujours le cas pour les meilleurs.
Citation
Si vous devez un peu d'argent à une banque, c'est elle qui vous possède alors que si vous lui en devez beaucoup, c'est vous qui en êtes le propriétaire.