Contenu
Poche
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais par Delphine Rivet
Paris : 10-18, mai 2014
356 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-264-05874-4
Coll. "Grands détectives", 4804
Actualités
- 10/06 Auteur: Un intérêt particulier pour Ann Granger
Les éditions 10-18 dans leur collection "Grands détectives" ont sorti une nouvelle victorienne de son chapeau. A priori, rien de nouveau à la lecture de la quatrième de couverture de Un intérêt particulier pour les morts de la romancière anglaise Ann Granger, Anne Perry ayant déjà livré des tombereaux de titres semblables depuis son ermitage écossais. "Londres 1864, Lizzie Martin accepte un emploi auprès d'une riche veuve dont la précédente dame de compagnie s'est enfuie avec un inconnu. Mais quand le corps de la jeune fille est retrouvé dans le chantier de la gare de St. Pancras, Lizzie décide de mener sa propre enquête. Elle pourra compter sur l'aide d'un ami d'enfance devenu inspecteur, Benjamin Ross, pour découvrir la vérité sur la mort de cette femme... dont le sort semble étroitement lié au sien." Voilà une quatrième de couverture, on ne peut plus passe-partout et qui pourrait même convenir pour un Harlequin historique ! Cela reflète l'ambivalence d'Ann Granger qui épouse les types et les structures du genre tout en s'en écartant avec talent car la dame a justement écrit pour Harlequin !
Ann Granger, née en 1939, a fait carrière chez les fonctionnaires d'ambassades dans le monde. C'est une professionnelle qui s'est fait la main dans la romance historique sous le nom d'Ann Hulme. Le Dragon d'azur, Un scandaleux marché, Faussaires et aventuriers sont quelques titres des quatorze Harlequin série Royale qui ont été traduits entre 1979 et 1991 date de son premier roman policier. Rapidement étiquetée Traditional British fiction, notre romancière s'est lancée dans des séries avec couples : Meredith Mitchell (attachée ambassade)/inspecteur Marky (quinze titres), Jess Campbell (inspectrice)/Ian Carter (superintendent) (trois), Lizzie Martin/Ben Ross (quatre). Sept titres sont consacrés à Fran Varady, une actrice loser. Dans les années 2000, les éditions Liana Levi ont traduit quatre ouvrages (Dîtes-le avec du poison, Danger de mort, Ci-gît la femme de mon amant, Cimetière à vendre) tous d'une simplicité remarquable. C'est le moment de les ressortir car, à la lecture de Un intérêt particulier pour les morts on est fasciné par la mise en place du scénario de la romancière. Deux narrateurs se partagent le livre (une pauvre gouvernante et un inspecteur) et tous les personnages secondaires, comme le cocher du tout début seront employés plusieurs fois autour de cette gare de St. Pancras qui focalise l'attention. De fait, sa construction est l'enjeu du roman avec, notamment les magouilles immobilières qui se trament autour mais aussi la formidable industrialisation qui règne en Angleterre. Ann Granger tisse une bourse puis tire les liens pour éliminer le vide, concentrer les thèmes, souder les protagonistes. Si l'assassinat s'avère basique car ne débouchant sur aucune horreur de serial killer, c'est parce qu'il est crime de société. La vue actuelle et les codes maîtrisés constituent, ici, un miroir motivant de cette société victorienne. D'où cette vraisemblance débouchant sur la revendication d'un honneur féminin. Contrairement à beaucoup d'autres auteurs, Ann Granger en sait plus qu'elle ne dit. Pas de tartines documentaires pour elle mais un travail au point de croix, méticuleux, riche de connaissances, profondément humain.
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Mélo en col dur
Ann Granger a fait carrière dans l'administration des ambassades étrangères puisqu'elle a été en poste en Zambie, en Allemagne et en République tchèque. Parallèlement, elle a entamé une carrière en littérature, non dans l'espionnage comme sa position en ambassade aurait pu le lui permettre, mais dans le sentimental d'abord chez Harlequin (sous le nom de Ann Hulme) puis dans le policier. Débuter dans le sentimental est un moyen idéal de parfaire son style et surtout sa technique. C'est particulièrement frappant dans sa série victorienne mettant en scène la gouvernante Lizzie Martin et le policier Ben Ross. Déjà, dans ses autres romans policiers contemporains (Dîtes-le avec du poison ; Cimetière à vendre), Anne Granger sait mettre en place une progression implacable des sentiments de ses héros basée sur le rejet initial de la femme qui veut prendre son temps pour s'habituer à l'entrée de l'homme dans son intimité. Il s'ensuit un jeu amoureux codé où la femme, par ses manœuvres, évite de tomber dans le piège de la mijaurée pour acquérir une personnalité forte rarement observée dans la littérature de genre. C'est ce côté plutôt féministe qui est l'atout principal d'Ann Granger. Et quand elle applique cette méthode au genre victorien, elle part d'emblée avec un bon atout.
Dans Un intérêt particulier pour les morts, l'excellent premier roman de la série, la romancière dynamise le genre ronronnant d'Anne Perry. Elle synthétise, en une intrigue simple, diverses données économiques et sociales du milieu du XIXe siècle. La montée de la bourgeoisie, l'avènement des grandes inventions comme le chemin de fer, l'exploitation des masses laborieuses, les profits de l'immobilier, le déclin de la noblesse sont ici combinés avec le désir d'évolution sociale d'une fille de docteur pauvre devenue femme de charge et celui d'un des premiers inspecteurs en civil de Scotland Yard. Ils prennent tour à tour la parole en tant que narrateurs de l'histoire. Dans le deuxième roman, La Curiosité est un péché mortel, toujours chez 10-18, l'intrigue se déplace de la ville à la campagne où Lizzie est nommée dame de compagnie d'une très jeune épousée (cloîtrée chez ses deux tantes vieilles filles) dont le mari a été expédié en Chine par la firme familiale et qui vient de perdre son bébé à la naissance. Pendant le voyage, Lizzie est accompagnée d'un fringuant aliéniste. A-t-il été employé pour évaluer le degré de folie de la jeune Lucy Craven qui refuse de croire à la mort de son bébé ? Toujours est-il qu'à peine arrivée sur les lieux, Lizzie se retrouve au cœur d'une enquête domestique : l'attrapeur de rat, un gitan baroudeur, a été poignardé dans le jardin avec le coupe papier de la maison !
Ann Granger dit s'être inspirée d'une stèle funéraire, reproduite en fin d'ouvrage, pour construire son intrigue. De fait, l'original métier de cette victime complètement hors normes dans les littératures policières classiques en fait un sujet de choix pour une étude sur les mœurs de la grosse bourgeoisie provinciale, ses rapports avec le bas peuple et son horreur du scandale. Mais Ann Granger se fait piéger par son intrigue car ses ingrédients documentaires (la naissance illégitime, l'abandon, le tutorat de fortune, le système honteux des hospices et des nourrices bas de gamme) ne peuvent être développés qu'après le dévoilement du secret familial et donc l'identité du coupable ! Voilà qui alourdit et gauchit le final. Du coup, le corpus de l'histoire joue à fond les conventions victoriennes du début du roman policier (Wilkie Collins, Mary Elizabeth Braddon) avec orpheline martyrisée, gitan ténébreux, amour enfui, mystère sur la folie, trafic de bébé et voisin ambigu se promenant sur la lande. Heureusement, la romancière possède une maîtrise exceptionnelle de la progression de ses dialogues. Elle est capable, grâce à ses deux points de vue, de dramatiser son intrigue par le simple rappel constant des faits et des lieux. Enfin, elle n'a pas son pareil pour resserrer ses indices et jouer avec un humour certain sur les hésitements amoureux de ses héros. Bref, Ann Granger est l'archétype de la romancière British populaire de qualité.
Citation
Elle s'empara d'une paire de ciseaux posée sur une table de couture et se jeta sur sa tante.