En votre intime conviction

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Essai - Policier

En votre intime conviction

Social - Procédure - Prétoire MAJ jeudi 20 janvier 2022

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 17,9 €

Clémentine Thiebault
Paris : Robert Laffont, janvier 2022
192 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-221-25542-1
Coll. "La Bête noire"

Jurée, mode d'emploi

Clémentine Thiebault est une auteure, journaliste et éditrice spécialisée dans les littératures policières. On peut donc logiquement présumer qu'elle a reçu une convocation aux assises en qualité de jurée potentielle comme une douce ironie. Tout comme il n'aurait pas été absurde de voir la partie adverse (entendez par là les personnes accusées d'un délit), par le biais de leurs avocats, la récuser. Eh bien, il n'en a pas été le cas, et ça a permis à Clémentine Thiebault de nous proposer un récit en immersion édifiant qui inaugure le label "Les Ondes" de la collection "La Bête noire" chez Robert Laffont.

Alors, parler de récit en immersion, comme sous-titré dans les pages de garde, n'est pas tout à fait exact. Le récit est partiellement en immersion. Si l'auteure a pris de nombreuses notes durant les sept jours du procès (en ayant soin de se concentrer sur sa personne – ce qui est normal –, et en jonglant avec son droit de réserve : il ne faut pas prendre parti et l'affaire jugée doit apparaître de façon floutée), elle n'en a pas moins été l'habiller de nombreuses recherches a posteriori (ce qui a pour résultat de le rendre plus digeste et d'y apporter une touche culturelle et informative intéressante). Mêlant ironie et causticité, Clémentine Thiebault relate une procédure forcément hors du commun (à commencer pour les jurés) qui vient ponctuer une enquête menée sur la disparition d'un homme qui avait de mauvaises fréquentations. Elle prend soin de nous rappeler que les prévenus se sont pourvus en cassation et qu'ils sont donc toujours présumés innocents. Le plus passionnant dans ce récit est qu'il s'agit d'un récit initiatique, et que l'expérience est unique (et statistiquement amenée à le rester). Clémentine Thiebault insiste sur le poids de l'institution. Sur ses atermoiements logiques à elle ("Je ne veux pas y participer" ; "Je ne suis pas tirée au sort pour la première affaire : je suis déçue"), et puis, une fois choisie pour la seconde affaire pour laquelle elle avait été tirée au sort, sur la routine qui s'installe et sur la lenteur judiciaire (le temps est tout relatif). Surtout, elle prend des notes, elle observe, elle étaie de ses réflexions, se prend au jeu (avec la pression de celle qui a le destin de personnes entre ses mains) et revient sur l'histoire de grands procès avec de grands orateurs sur des moments importants (Robert Badinter et la peine de mort, par exemple).

L'affaire jugée est renommée. Le côté cour du procès est typique du genre avec ses témoins qui viennent à la barre (mis à part les gendarmes et la police scientifique dont les témoignages s'éloignent des séries télé et apportent un autre point de vue). Ce qui fascine plus particulièrement c'est bien la vie en (presque) huis-clos de ces jurés, qui se retrouvent tous les matins dans une salle devant la cafetière avec une routine qui s'instaure, et qui s'efforcent dans leurs rares moments de repos de parler de toute autre chose avant qui de retourner chez soi par le dernier bus, qui de dormir à l'hôtel. Et puis, il y a la fatigue et la peur. Et la quasi-délivrance avec son retour à la normalité. C'est bien cet aspect clinique, qui ausculte de l'intérieur une jurée, qui captive. Le travail de Clémentine Thiebault rend le tout lisible avec ce petit plus qu'elle nous dégotte et qui se retrouve dans des encarts dominés par une image de la balance de la justice. Un témoignage rare sur une expérience marquante.

Citation

Ils ressemblent à une équipe de foot de retour sur le terrain après avoir encaissé un but décisif avant la mi-temps. Alain s'agite, mais ne dis rien, le nez toujours dans son mouchoir. Mourad semble avoir abdiqué. Il est comme absent, plus que jamais, mais son avocat tient bon. Il est seul, concentré sur sa stratégie. Lui n'est pas tenu par le même mandat que ses trois confrères, il n'a pas à plaider l'acquittement. C'est plus facile.

Rédacteur: Julien Védrenne jeudi 20 janvier 2022
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