Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Paris : Folio, juin 2020
688 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-289898-3
Coll. "Policier"
Quelque chose de pourri dans cette ville
William Shakespeare est une figure tutélaire de la littérature universelle. Afin de le transmettre à de nouvelles générations, un éditeur a fait le pari de demander à des auteurs contemporains de se servir de certaines de ses pièces pour en proposer de nouvelles lectures différentes et foisonnantes. On sait que Margaret Atwood s'est attaqué à La Tempête et voilà que sort en édition française, la manière dont Jo Nesbø a revisité Macbeth. Tout d'abord, pour les fans du barde anglais, il faut signaler qu'il ne manque aucun bouton de guêtre à l'ensemble : tous les personnages de la pièce se retrouvent ici mais, bien entendu, avec des rôles différents. Par exemple, les trois sorcières ne sont plus d'affreuses pythies cachées au fond d'une grotte avec de jolis chaudrons, mais les fabricantes de drogue tapies au fond des toilettes publiques de la ville décrite, qui se situe évidemment en Écosse. Le cadre général est une ville anciennement industrielle, en pleine déconfiture, quasi en autonomie par rapport à la lointaine capitale. L'ancien chef de la police, un homme corrompu jusqu'à la moelle, vient de mourir. Un nouveau policier a été nommé pour nettoyer les écuries d'Augias. Il s'appuie sur des adjoints, dont le fameux Macbeth, chef des opérations spéciales. Mais conseillé par sa compagne, la tenancière d'un casino, intrigante et ambitieuse, Macbeth est prêt à s'allier avec le gang de motards qui écume la région ou Hécate, le mystérieux parrain local, en s'appuyant ou en s'opposant au maire afin de devenir le nouveau chef de la police. Servi par une vision de l'ordre, il en vient, pour exercer le pouvoir et nettoyer la ville, à devenir semblable à ceux qu'il combat, dans une parabole du fascisme larvé qui pense que la fin justifie les moyens.
Jo Nesbø s'appuie sur la pièce de William Shakespeare et sur des figures propres au roman policier. Surtout, une pluie continuelle ruisselle sur la ville, les décors sont ceux de ruines industrielles, de zones portuaires à l'abandon, avec des clochards qui peuplent les bas quartiers et qui luttent contre des drogués pour un bout de territoire, de casinos miteux où grouillent les escrocs. À l'inverse des zones préservées où la classe moyenne tente de ne pas sombrer et où les riches s'amusent ou s'ennuient entre eux, où chaque sourire cache une traîtrise. Ponctué de répliques tirées directement de la pièce, mais qui s'intégrent dans le dialogue général presque de manière subreptice, le roman décrit un récit qui rappellera aussi ceux des anciens Maîtres (comme les textes de Dashiell Hammett sur la ville corrompue), sauf que là le récit est vu non pas comme celui des chevaliers blancs luttant contre le Mal. Il présente des personnages ambigus, parfois oscillant entre le Bien et le Mal, parfois croyant servir le Bien mais se trouvant du côté des forces obscures, agités de pulsions contradictoires (car la pureté est parfois plus dangereuse que la grisaille), où il convient de reforger à chaque seconde sa volonté morale pour rester pur. Entre les mains d'écrivains talentueux et confirmés, l'introduction de Shakespeare dans leur propre univers est l'occasion d'une fécondation réussie, d'une sauce qui prend pour le plus grand bonheur du lecteur, qu'il ait connaissance du texte original ou non. Et Jo Nesbø a particulièrement bien réussi son coup.
Citation
Parce que, après la faim, le froid, la peur et le désir sexuel, il n'y a rien d'autre que l'ambition, Macbeth. Parce que la gloire est la clef du respect.