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Christophe Belser, historien du crime dans l'Ouest
Il semble que, dans la lutte qui l'opposait à Geste éditions pour le contrôle du marché notamment dans l'Ouest, De Borée ait emporté la bataille. Les livres de grand format, illustrés avec soin de gravures colorées issues généralement du "Petit Parisien" reprenant la thématique d'une histoire, contiennent souvent des cartes postales d'époque replaçant le crime dans son univers, ainsi que des archives passionnantes comme des plans, des dessins, des lettres ou des photos des protagonistes. Une nouvelle maquette, plus agressive, a été mise en place. La tranche blanche est devenue noire et l'étiquette classique de la couverture a été remplacée par une manchette du plus beau rouge sanglant. Au final un livre assez cher (près de vingt-cinq euros), lourd mais clair et toujours agréable à lire - les auteurs faisant le maximum d'effort pour ne pas ennuyer le lecteur.
En dehors de quelques réserves sur la novellisation dont nous parlons plus bas, il faut rendre justice aux auteurs de bien faire leur métier. Certains restent avant tout des historiens qui mettent les faits en avant, d'autres se piquent de littérature, d'autres enfin glissent ici ou là des traits d'humour bienvenus. Les auteurs viennent d'horizons divers mais toutes les histoires découlent du même mix : archives et presse populaire qui, rappelons-le, étaient très prolixes à l'époque n'hésitant pas à publier des comptes-rendus complets de procès avec les interventions des témoins, des avocats et du juge.
Nous avons souhaité recueillir les impressions de l'un des auteurs les plus prolifiques de cette fantastique collection : l'historien Christophe Belser qui s'est occupé de tous les Pays-de-la-Loire et de la Basse-Bretagne.
© D. R.
k-libre : Vous avez publié de nombreux livres, notamment dans la série généalogique "Les Noms de famille", déclinée par département, et dans une collection de patrimoine en cartes postales "Il y a 100 ans". Vous avez aussi publié des travaux d'historien sur L'Aventure de la métallurgie en Loire-Atlantique et sur l'extrême droite en France. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux "Grandes affaires criminelles", puisque, rappelons-le, vous avez publié chez De Borée, outre le Maine-Loire, la Loire-Atlantique, le Morbihan, la Mayenne, la Vendée et l'Île-et-Vilaine ?
Christophe Belser : C'est à la suite d'une demande d'éditeur. Je ne vous cacherai pas que deux maisons étaient en concurrence sur le même créneau : Geste &ditions et De Borée. Ce projet m'a plu en tant qu'historien car les affaires criminelles ressortent toujours d'un contexte sociologique, politique et géographique. La plupart du temps, les affaires sont très simples. Mais il y a des passerelles à faire à partir de ce déterminisme social. Les incestes, les crimes dus à l'alcool et à la misère sont les motifs les plus représentés. C'est pour cette raison que j'essaie toujours de replacer le fait dans son contexte et que je tiens à ouvrir le livre sur une introduction qui recense les grandes tendances de la criminalité du département ainsi que les données importantes, comme par exemple, l'absence de banques qui conduit les victimes à garder leur argent chez elle ou le jury uniquement constitué d'hommes jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale ou le rôle très important de la presse populaire comme Le Petit Courrier pour le Maine-et-Loire.
k-libre : Pour le tome de la Loire-Atlantique (écrit en collaboration avec Dominique Bloyet), il y a de nombreuses affaires "modernes" avec de grands pans "Collaboration" et "Milieu". Deux affaires anciennes sortent du lot, celles de Jules Grand, le Satyre du Pouliguen, dont vous détaillez l'itinéraire, et celle du jeune Marcel Redureau qui, à quinze ans, assassine en 1914, toute la famille de son employeur cultivateur soit sept personnes à coups de serpe. Les Affaires du Maine-et-Loire paraissent globalement plus domestiques. Quelles sont celles qui vous ont le plus fasciné ?
Christophe Belser : Pour la Loire-Atlantique, il y avait en effet un côté important au niveau de la politique et surtout du milieu de la pègre globalement situé Quai de la Fosse à Nantes. Il y avait aussi la collaboration qui méritait d'être traitée. Pour le Maine-et-Loire, Angers n'est pas Nantes. Il y a bien une petite pègre du côté de la Doutre et des délinquants que j'appelle des "pégriots" mais cela reste très "domestique". L'affaire angevine qui m'a le plus intéressé est celle de Delhumeau en 1909, un petit escroc du genre de Landru qui va finir par jouer à la malle sanglante avec un antiquaire naïf qu'il a attiré dans un piège aux Ponts-de-Cé sous le prétexte de lui vendre des tapisseries de valeur. C'est le récit d'une dérive vers le crime le plus abominable. La disparition de la victime puis celle de l'assassin constituent une intéressante enquête dans l'enquête et révèle le peu de moyens des forces de l'ordre. Le criminel finit par être identifié mais il reste introuvable et quand le fleuve rendra son cadavre et qu'on comprendra qu'il s'y est noyé presque tout de suite après son crime, on y voit le signe d'une sorte de justice immanente. J'aime aussi l'affaire des 3J, en 1958, ces jeunes de milieu bourgeois qui cambriolent et attaquent la nuit alors que leurs parents les croient sagement couchés dans leur chambre. Ils finissent par tuer un voyageur du train Quimper-Paris au cours d'une nuit où tout avait été parfaitement calculé entre les arrêts d'Angers et du Mans.
k-libre : Il y a aussi les affaires non résolues. C'est une bonne idée d'en inclure quelques-unes car le lecteur reste sur un point d'interrogation. Votre collègue Lenaïc Gravis, que vous connaissez bien pour collaborer avec elle, dans ses "Grandes affaires de la Manche" en conte une parfaitement incroyable : un adolescent de dix-sept ans, Serge Le Petit est trouvé mort sur le sentier de douanier de Landemer le jour de la Toussaint 1969. On conclut à un suicide quand la femme qui toilette le corps à la morgue se rend compte qu'il a une trace de balle dans la nuque ! Un examen de son sac fait apparaître un mini-appareil photo et des timbres russes. Le père de la victime travaillant au centre de retraitement nucléaire de la Hague, et l'adolescent ayant une vie cloisonnée, toutes les folles hypothèses sont les bienvenues.
Christophe Belser : C'est en effet une énigme non résolue absolument stupéfiante. Pour ma part, j'ai trouvé le récit de ce taximan assassiné d'une balle à Feneu en 1938. On a retrouvé le taxi abandonné, le cadavre à l'intérieur et jamais on n'a retrouvé trace du criminel, pourtant parti en pleine campagne. Ce fait divers m'a rappelé un autre tout à fait semblable qui s'est déroulé sur la route de Clisson et que j'ai traité dans Les Grandes affaires criminelles de Loire-Atlantique. Même procédé et même résultat. Pourtant, avant que je trouve cette correspondance, jamais la presse, ni la justice de l'époque ne fit le moindre rapprochement entre ces deux faits qui, pour moi, avaient le même protagoniste.
k-libre : Même si elle ouvre justement votre très bonne introduction, l'affaire Germaine Leloy veuve Godrefroy, de Baugé, dernière femme guillotinée en France et dernière exécution en Maine-et-Loire en 1948, aurait mérité plus de développement en raison de son caractère historique. Qu'est-ce qui vous a retenu ?
Christophe Belser : Contrairement aux affaires de Delhumeau, des 3J ou celle de Gueurie, le satyre au bouquet de violettes, l'affaire Godefroy est d'une affligeante banalité : elle tue son mari charbonnier à coups de hache pour vivre avec son jeune amant. De plus, on n'a pas encore accès aux archives et il y a peu d'éléments dans la presse. Finalement, seul le fait qu'elle ait été guillotinée interroge. Pourquoi le Président a-t-il refusé sa grâce ? Voilà la grande question que l'on peut se poser en ce qui concerne le climat au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
k-libre : Comment se passe la rédaction d'un tome de "Grandes affaires criminelles" ?
Christophe Belser : La première étape quand le département est retenu, c'est aller consulter les PV des Audiences d'Assises qui se déroulent en quatre sessions sur l'année. Mais, ce sont des résumés succincts en deux pages, avec les motifs, les dates, les condamnations. Je retiens généralement près de soixante-dix affaires pour trente traitées. La difficulté réside dans ce qui n'est pas écrit, car une affaire apparemment banale dans ses motifs peut receler une vrai pépite, comme l'affaire Eugène L'Hermitte en 1909 qui assassine sa sœur peintre à coups de marteau. Une fois le listing établi, il faut faire d'autres recherches au sein des archives criminelles et judiciaires et surtout dans la presse de l'époque.
k-libre : La maquette de couverture de la collection a changé. D'une belle étiquette insérée dans une gravure du "Petit Journal" on est passé à une manchette agressive rouge et noire. Qu'en pensez-vous ?
Christophe Belser : J'ai participé à l'élaboration. Sans doute fallait-il plus accrocher le public, lui dire qu'il s'agissait d'écriture actuelle d'anciennes affaires. L'ancienne formule était peut-être trop passéiste.
k-libre : De Borée fait maintenant paraître des compilations au niveau des régions et "Les Nouvelles affaires criminelles de...", deuxième tome par département. C'est de l'exploitation commerciale des fonds de tiroir écartés du premier tome ?
Christophe Belser : Pas du tout ! Je n'hésite pas à dire qu'un deuxième tome ne vaudrait pas le coup pour la Vendée et la Mayenne par exemple, mais pour le Morbihan sur lequel je travaille justement avec Lenaïc Grevis, il y a encore de nombreuses histoires dont celle de ce fils de procureur qui assassine sa femme après de longues années de torture.
k-libre : Si l'on multiplie vos tomes par le nombres d'affaires on arrive au total de cent quatre-vingts affaires traitées sur quatre cent vingt retenues. Comment faîtes-vous pour ne pas exploser ?
Christophe Belser : Je mène plusieurs projets en parallèle. Dès que la tension est trop forte pour un, je change.
k-libre : Vous êtes un adepte du style classique, au présent, sans narrateur personnage tandis que de nombreux auteurs chez De Borée, utilisent, malheureusement, la novellisation qui consiste à inventer un récit raconté par l'assassin, une victime, un enquêteur, un homme de loi ou un témoin. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
Christophe Belser : Je suis historien, pas écrivain.
k-libre : C'est vrai qu'adopter scolairement ces formes littéraires dénature complètement le travail de recherche. Et, justement, qu'en est-il au niveau de la fiction ? Qu'aimez-vous ?
Christophe Belser : J'ai eu un choc réel en lisant Crime, de Meyer Levin, repris chez Phebus [note du rédacteur : Meyer Levin avait le même âge et connaissait les deux jeunes fils de millionnaires Loeb et Leopold, jeunes et brillants étudiants américains de dix-huit ans qui assassinèrent un garçon de quatorze ans pour célébrer intellectuellement le crime gratuit. En tant que jeune journaliste pigiste, Levin couvrit même l'enquête et les arrestations. Trente ans plus tard, suite à un choc psychologique, dû sans doute à son travail de découvreur autour du Journal d'Anne Frank, il écrivit ce "roman-documentaire" époustouflant. Outre un film avec Orson Wells dans le rôle du charismatique avocat de Loeb et Leopold, cette affaire inspira aussi Patrice Hamilton, qui écrivit la pièce La Corde filmée ensuite par Hitchcock]. J'aime aussi James Ellroy et Dennis Lehane sans oublier Wilkie Collins, le génial inventeur du roman policier dont j'aime le style.
k-libre : Vos projets ?
Christophe Belser : Une genèse du milieu nantais... au XIXe siècle bien sûr, car je tiens à ma peau ! Je ne suis pas journaliste et je préfère travailler sur la documentation. Pour moi, une affaire trop récente est trop chargée d'émotion et de passions. Il y a trop d'intérêts antagonistes. Même sur des affaires très anciennes, je suis parfois contacté par des descendants mécontents. Des familles s'appropriant les affaires, comme celle de Seznec, se montrent très agressives quand on veut en parler. Par contre, pour mon livre sur la collaboration, les manifestations ont été pour ainsi dire nulles car on préfère oublier cette période. Seul le clergé, un peu tourneboulé, m'a demandé des explications.
Liens : Christophe Belser Propos recueillis par Michel Amelin