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Vivianne Perret recrute un magicien pour ses enquêtes !

Mardi 21 novembre 2017 - Des personnages historiques se retrouvent, par l'imagination fertile de romanciers, dans des rôles d'enquêteurs alors que rien dans leur existence ne les avait prédisposé à cela. Vivianne Perret se passionne pour l'histoire des États-Unis au point d'être incollable sur Buffalo Bill et sur les Indiens Lakotas. Sa passion pour les Indiens des plaines l'a même poussée à apprendre le sioux... Il n'est donc pas anormal qu'elle croise, sur sa route, un personnage hors du commun, un magicien qui fût célèbre et qui reste une référence en la matière, à savoir Harry Houdini. D'origine hongroise, celui-ci a pris ce nom de scène en hommage à cet autre célèbre illusionniste que fut Jean-Eugène Robert-Houdin, né en 1805 à Blois. Houdini avait l'âme d'un enquêteur. Alors, pourquoi ne pas en faire le héros d'une série policière et de lui faire vivre des équipées à hauts risques dans le cadre de son activité de maître de l'escapologie ? Vivianne Perret a fait paraître la troisième enquête du magicien, La Reine de Budapest (Le Masque) et La Maison mystère est sortie il y a deux mois.
Rencontre par Internet avec celle qui anime de si belle manière ce personnage authentique et qui sait mêler faits historiques et actions de fiction avec un remarquable talent.
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© D. R.



k-libre : Harry Houdini est connu pour son art de se délivrer de n'importe quelle entrave. Il a réalisé, dans ce domaine, de véritables exploits physiques. Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressée à ce personnage ?
Vivianne Perret : J'adore la magie et Houdini est une vieille passion... J'ai été marquée par le film de 1953 avec Tony Curtis dans le rôle-titre, qui retrace sa vie de manière très romancée. Je l'ai vu enfant et j'ai été frappée par la scène où il plonge enchainé dans l'eau. Je m'étais demandée alors quel genre de magicien était prêt à risquer sa vie pour amuser ses concitoyens. (Car Houdini n'est pas un cascadeur mais bien un illusionniste dont les tours peuvent être dangereux à réaliser.) Plus tard, les exploits de Houdini ont souvent croisé mes recherches sur l'entertainment américain, né fin XIXe et début XXe aux États-Unis caractérisé par, entre autres, ces cirques gigantesques (le fameux Barnum). Houdini est aussi le symbole de l'Amérique de cette époque, ce melting-pot issu de pays non-anglophones, motivé par la rage de réussir. J'ai fini par lui offrir tout un chapitre dans mon livre Esprit es-tu là ? (La Librairie Vuibert) consacré au surnaturel dans l'histoire, en raison de son association avec Sir Arthur Conan Doyle sur le spiritisme. Sa vie étant tellement romanesque, il était évident qu'il y avait matière à faire de lui un détective amateur et une personnalité attachante par la combinaison de ses défauts et de ses qualités.

k-libre : Vous le décrivez comme un détective amateur dans l'âme. Est-ce pour les besoins de votre série ou cette inclinaison était-elle réelle ? Qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'en faire un détective ?
Vivianne Perret : Houdini avait réellement l'âme d'un détective, à l'instar d'ailleurs de son contemporain Sir Arthur Conan Doyle qui enquêtera sur deux crimes commis à son époque. Houdini traquait plutôt les charlatans que les meurtriers. Il avait fini par constituer toute une petite équipe qui se mêlait au public lors de soirées spirites et repérait les méthodes utilisées pour mieux les démasquer le jour suivant. Il était fasciné par les criminels et les déments. Il visitait des asiles, des prisons et il a même écrit un livre destiné à la police exposant les méthodes des voleurs-à-la-tire.

k-libre : Comment choisissez-vous les lieux de ses enquêtes et le sujet de vos intrigues ? Sur quelles données vous basez-vous pour ces choix ? Avez-vous une approche chronologique pour vos récits ? Qu'est-ce qui a fait décoller sa notoriété en 1899 ?
Vivianne Perret : La notoriété de Houdini a véritablement décollé lorsque, en 1899, sous l'impulsion de son manager, il a introduit des numéros d'escapologie dans sa routine, jusque-là classique de magicien. Il était doué, sportif et l'alliance des deux était essentiel pour ses tours. Je le suis dans mes récits au plus près de la réalité chronologique et historique. Ce qui détermine deux choses : le choix des villes où se situe l'intrigue et l'évolution artistique du personnage. San Francisco (Metamorphosis) est la ville où il est brusquement devenu célèbre. Berlin (Le Kaiser et le roi des menottes) est celle de sa consécration sur le Vieux Continent. Budapest (La Reine de Budapest) est un retour aux sources puisqu'il y est né en 1874, après d'émigrer à l'âge de quatre ans aux États-Unis.

k-libre : Vous suggérez qu'il ait pu être un agent secret au service du gouvernement américain. A-t-on des données précises qui vont dans ce sens ?
Vivianne Perret : C'est un débat sur lequel les historiens de Houdini ont des vues divergentes. Mais en tant qu'auteur de polar historique, il aurait été dommage de ne pas s'emparer de cette facette de Houdini ! Ce qui est avéré en revanche c'est que le premier directeur des services secrets américains a utilisé des magiciens comme espions.

k-libre : Il est toujours accompagné de Bess, son épouse et sa partenaire sur scène. Elle était menue et très petite ce qui pouvait faciliter certains numéros. Comment a-t-elle commencé avec lui ?
Vivianne Perret : L'histoire de ce couple est quasiment l'histoire de la carrière de Houdini. Ils se sont connus sur les planches très jeunes, alors que Houdini débutait avec son frère. Coup de foudre et mariage immédiat des deux tourtereaux avec pour conséquence un changement de partenaire. Le frère a cédé la place à la menue Bess qui avait le physique idéal pour l'exécution de leur numéro phare de leurs débuts : Metamorphosis qu'on appelle également la malle des Indes. Il s'agit d'un numéro de substitution de partenaires qu'ils exécutaient en trois secondes.

k-libre : A-t-elle été sa partenaire jusqu'au bout ? A-t-elle joué un rôle important dans sa carrière ?
Vivianne Perret : Sans Bess, il n'y aurait pas de Houdini. Non pas parce qu'elle a été sa partenaire. Hormis son implication dans Metamorphosis et une présence féminine sur scène, elle ne participait pas à ses tours. Mais, dans la vie d'artiste de son mari, toujours sur les routes, à prendre des risques de plus en plus importants pour satisfaire son public, elle lui a apporté la stabilité et l'amour essentiels à son équilibre. Elle était de tous les déplacements et seule la mort les a séparés.

k-libre : Vous livrez nombre de détails sur la vie de votre héros, sur le quotidien du couple. Dispose-t-on facilement de documents, de témoignages qui les décrivent ainsi ?
Vivianne Perret : Il existe des biographies, des coupures de presse, des témoignages et le travail inlassable des fans de Houdini, auquel je rends hommage. Ils sont à l'affut du moindre détail, ravis de partager leurs recherches. Autant dire une mine d'informations passionnantes. Pour vous donner un exemple de la précision des détails que certains sont susceptibles de fournir, cela va jusqu'à la couleur exacte du costume de bain de Houdini ! Des amateurs férus d'histoire et du magicien ont déterré les articles de l'époque qui la cite. Et cette couleur a son importance, car le maillot rouge cerise permettait aux sauveteurs de repérer plus rapidement Houdini dans l'eau lorsqu'il sautait lourdement enchainé depuis un pont, et qu'il remontait à la surface, débarrassé de ses entraves.

k-libre : D'origine très modeste, venu aux États-Unis en tant que migrant quand il était un petit garçon, n'avait-il pas soif de reconnaissance, le désir de se distinguer ?
Vivianne Perret : Comme je le disais en répondant à la première question, Houdini est le symbole de l'Amérique de cette époque, ce fameux melting-pot issu de pays non-anglophones, motivé par la rage de réussir. Il a connu la pauvreté, le déclassement. La magie lui a offert la reconnaissance qu'il attendait. Il s'est passionné jeune pour la magie en lisant les mémoires de Jean Eugène Robert-Houdin, (1805-1871), un Français considéré comme le père de la magie moderne. Il lui a rendu hommage en s'inspirant de son patronyme pour former son nom de scène Harry Houdini.

k-libre : Il se livrait à l'escapologie. Que recouvre exactement ce terme dans le monde du music-hall, dans l'univers des magiciens ?
Vivianne Perret : L'escapologie était un art mineur de la magie jusqu'à ce que Houdini lui donne ses lettres de noblesse. Cet art de l'évasion (menottes, lien etc.) n'était alors jamais présenté comme un numéro en soi mais partie intégrante de la réalisation d'un tour (disparition ou substitution par exemple). Le développement du spiritualisme aux États-Unis au XIXe siècle a inspiré des numéros où les cordes qui ligotaient le magicien se dénouaient, non pas par habilité de l'artiste mais grâce aux esprits qu'il convoquait. Houdini, qui connaissait ces tours et les avait lui-même utilisé au début de sa carrière, laissa tomber le côté fantasmagorique pour faire de l'escapologie le sujet principal. Ce fut d'ailleurs à cette période que le mot fut formé à partir de l'anglais escape (échapper) et le suffixe (o) logie (étude scientifique). Il a pratiqué les deux formes classiques : caché (l'artiste est dissimulé le temps de se débarrasser de ses entraves) et à la vue du public (l'exemple le plus célèbre est Houdini se délivrant d'une camisole de force suspendu par les pieds au-dessus d'une foule en plein air). Il a initié une troisième forme : mettre sa vie en danger en cas d'échec (par exemple être immergé dans une malle dans une rivière). Ce qui l'a rendu célèbre au point de faire entrer en 1920 dans le dictionnaire le verbe to houdinize qui signifie se sortir miraculeusement d'une situation inextricable !

k-libre : Vous placez votre première intrigue dans le Chinatown de San Francisco quand l'acte d'exclusion de 1882 restreignait l'immigration chinoise. Cet acte a eu, entre autres, pour conséquence le développement de la prostitution orchestré par la pègre du secteur. Pourquoi confronter Houdini, poussé par Bess, à ce trafic humain ?
Vivianne Perret : Parce que chaque ville où Houdini a séjourné pour raisons personnelles ou professionnelles est porteuse d'une histoire qui lui est propre. En un sens, la ville est aussi un personnage dans mes intrigues. Or en 1899, lorsque Houdini se produit à San Francisco, Los Angeles n'est encore qu'une petite bourgade et le port de la côte Ouest concentre la plus grande communauté chinoise de tout le territoire. Plus de trente mille personnes s'entassent dans le quartier dit Chinatown et "l'esclavage jaune" qui prospère a de multiples incidences sur la ville (économiques, politiques etc.). Je me plais à intégrer autant de véritables personnages historiques que possible comme Donaldina Cameron qui sauvera beaucoup de jeunes femmes de la prostitution, afin de recréer l'atmosphère de l'époque.

k-libre : Dans le troisième volume de votre série vous transportez Houdini à Budapest, sa ville natale. Vous décrivez de belle manière la ville et ses secrets. Séjournez-vous régulièrement à Budapest ? Vous citez un procès en diffamation attenté par Houdini à un officier de police allemand et au directeur d'un journal qui l'accusaient de frauder sur scène. A-t-il dû saisir souvent la justice ?
Vivianne Perret : J'ai séjourné à Budapest en vue de l'écriture du tome 3 et j'ai eu la chance de bénéficier d'excellents contacts pour mes recherches. Le roman se situe juste après un épisode particulier dans la carrière de Houdini où il gagne un procès en diffamation en Allemagne et reçoit les excuses de la police du Kaiser. Il n'était pas coutumier du fait de saisir la justice mais, par contre, il menait la vie dure à ses concurrents. Qui tentait d'imiter ses tours risquait de le voir débarquer dans la salle et passer un mauvais quart d'heure. Il interrompait le spectacle et défiait ses concurrents sur scène. La situation tournait rarement à leur avantage. La notoriété de Houdini grandissait et le public, lui, était ravi de la confrontation !

k-libre : Vous avez écrit d'autres livres de références sur les bijoux, le secret des grandes amoureuses, une histoire du surnaturel... Êtes-vous fascinée par l'histoire ? Pourquoi ?
Vivianne Perret : L'Histoire est pleine d'histoires extraordinaires et de personnages que vous n'oseriez même pas inventer, illustrant cette phrase de Mark Twain : "La vérité est plus étrange que la fiction, mais c'est parce la fiction est obligée de s'en tenir aux possibilités. La vérité n'y est pas soumise." C'est une richesse qui me passionne et que j'aime partager.

k-libre : On annonce déjà un nouveau volet des enquêtes du magicien, La Maison mystère qui se déroule à New York en 1904. Avez-vous beaucoup d'intrigues en réserve pour lui ?
Vivianne Perret : La vie de Houdini a été rocambolesque à souhait. Il y a encore de nombreux épisodes de son existence qui seront des points de départ fantastiques pour de nouvelles enquêtes du magicien.


Liens : Vivianne Perret | La Reine de Budapest Propos recueillis par Serge Perraud

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