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Ma vie des autres (11)
Courts récits de 1000 signes (11). Il amène du vin. J'ai de la bière. On boit la bière d'abord. J'arrête de voir le mal partout, j'enterre ma vie de parano. C'est trop de magouilles, trop de compromis, certes à petite échelle, mais je ne supporte plus. L'hypocrisie, la condescendance, les calculs vont à l'encontre de mes convictions. Il y a un petit noyau qui dirige en douce le milieu parano. Le parano est un genre à part qui a ses codes et ses maîtres. On regarde des écureuils grimper aux troncs des chênes-lièges. On écoute les grillons. L'obscurité progresse rapidement, mais nous restons dehors. Ceux dont je parle règnent sur un simple îlot perdu dans le vaste monde, mais raison de plus pour eux de garder les braves petits paranos sous leur coupe en les enchaînant par des promesses, des cadeaux, des invitations dans les salons paranos, des prix du meilleur parano, des bourses et des résidences en hôpital psychiatrique. On passe au vin, puis à la bière de nouveau. Ces gens-là ne savent pas ce que c'est d'être véritablement parano, mais ils jugent, trient les bons et les mauvais, font la pluie et le beau temps. Lui, il décide de rester parano encore un ou deux ans. Juste avant qu'il parte, je lui montre qu'un hérisson a laissé d'énormes excréments dans mon potager. Un chat aurait recouvert de terre les siens, non ? Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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