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Ma vie des autres (14)
Courts récits de 1000 signes (14). Pour mon malheur, je reviens plus tôt que prévu. Le nettoyage de l'école est remis à demain matin. J'avais oublié le gala. J'ai la tête en l'air, j'oublie tout avec ces changements d'horaires permanents. Il me faudra recommencer demain dimanche à 8 heures. Mais ce n'est pas ça qui me rend folle. Je sais bien qu'on m'exploite pour un salaire de misère. Je m'y suis faite. J'accepte. Parce qu'on a besoin d'argent pour finir de payer le crédit de la maison et celui de la voiture. Le salaire de Bertrand ne suffirait pas, surtout qu'il n'a plus la possibilité de faire d'heures sups dans sa boîte qui bat de l'aile. Il n'empêche, c'est comme si je venais de prendre une grande claque dans la figure. Surprendre son mari scotché à l'écran de l'ordinateur, en train de se masturber et de parler japonais à une Asiatique sur Skype à de quoi vous anéantir. Jamais je n'avais entendu Bertrand parler japonais. Je repars dans la rue en courant. Il me rattrape, il veut m'expliquer, me persuader que ce n'est pas ce que je crois. Cela me confirme que je n'aime plus mon mari depuis longtemps. Je n'aime plus les choses de l'amour depuis une éternité. Je n'ai jamais aimé ça. On n'a pas eu d'enfant. Je n'ai jamais été douée pour les langues étrangères. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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