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Ma vie des autres (33)
Courts récits de 1000 signes (33). Mon fils est un imbécile. Je lui avais dit de ne pas éteindre le couloir. La nuit, j'ai besoin de lumière quand je me lève pour aller au petit coin. Il a éteint en se couchant. Je somnolais ou je dormais, je n'ai pas fait attention. Pour une fois qu'il vient à la maison, il faut que ça se termine en catastrophe. Dans le noir, je ne vois rien. Le soir, je laisse la porte de ma chambre ouverte. En général, je pars me soulager une première fois après minuit, puis une deuxième fois vers quatre heures du matin. Je bois beaucoup à cause des médicaments. Du lait pour le calcium. J'ai vu que c'était bon contre l'ostéoporose. Mon fils affirme le contraire. Il n'y connaît rien. J'ai cru m'appuyer à l'horloge qui ne marche plus et je suis tombée. Je ne sais pas si je me suis cassé quelque chose, mais j'ai mal au crâne et je ne peux pas me relever. J'appelle mon fils qui n'entend rien, pas plus que sa femme qui est encore plus bête que lui. J'aurai quatre-vingt-sept ans l'année prochaine. Ils ne savent pas ce que c'est que d'être vieille. Je voudrais les voir à mon âge. La porte de leur chambre fermée, ils dorment à poing fermé. Si ça se trouve, je perds mon sang et je suis en train de mourir. Mon fils s'est arrêté pour faire étape sur la route des petites vacances de février. Il emmène sa femme dans sa famille en Vendée. J'aurais préféré qu'il m'oublie. Je ne serais pas sur le carrelage du couloir, à gémir, en maudissant les visites qui perturbent les habitudes et provoquent les accidents. Mon fils n'a jamais connu son père. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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