Contenu
Ma vie des autres (38)
Courts récits de 1000 signes (38). J'attends. Je me dandine. Je scrute. Je ne compte pas le nombre de gus présents sur la place. Je n'aime pas compter. Les silhouettes se détachent sur les vitrines des bars. La plupart forment des petits groupes. Ils tchatchent, ils piaillent, ils crient, ils se chamaillent. Je suis venu avec des potes, mais je préfère la solitude. On s'est enfilé des bières. Je les ai laissés quand j'en ai eu marre. Je me suis écarté. Agir en bande ne m'intéresse pas. Je préfère préparer comme je l'entends mon mauvais coup. Je suis ici pour me payer de la viande soûle. Des types bourrés sortent des bars. On les cueille sans problèmes. Diminués, le cerveau dans les vapes, ils sont incapables de se défendre. On leur tombe dessus. On les frappe. C'est marrant. On ne les dépouille pas. C'est uniquement pour la beauté du geste. Celui qui arrive sur son vélo, voilà une bonne cible. Il peine, il ziguezague - on lui devine un taux d'alcoolémie élevé. Il arrive à ma hauteur. On dirait un cavalier blessé que sa monture ramène seule à la maison. J'attaque. Je lui balance un grand coup de pied dans la cuisse. Il se casse la gueule avec son engin. J'exulte. Maintenant, je prévois de le piétiner. Je devrais plutôt me carapater. Trop tard. Le bonhomme se relève à une vitesse phénoménale. Il me saute à la gorge, ce salaud. Personne ne vient m'aider. Il est plus balèse que ce que je croyais et moins bourré. Des os craquent, ce sont les miens. Du sang gicle, c'est le mien. Je tombe à la renverse. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
Blog de Jan Thirion
Liens : Jan Thirion
