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Ma vie des autres (62)
Courts récits de 1000 signes (62). Il me regarde. Je le regarde. On ne se dévisage pas plus de deux secondes. Je baisse les yeux sur le présentoir de stylos. Je pense qu'il fait de même. Je crois que j'aurais fait erreur en lui demandant un conseil. Ce n'est pas un vendeur si je ne me trompe pas. Son visage ressemble trop à celui qui est sur l'affiche scotchée à la porte de la librairie. Une présentation d'auteur à lieu dans l'auditorium au sous-sol, aujourd'hui, à 18 heures, c'est-à-dire dans un quart d'heure. Il vient pour son nouveau roman. Je m'étonne de le voir au rayon papèterie du magasin. Située au rez-de-chaussée, à gauche et à l'écart de la caisse, c'est la seule aile du magasin qui n'est pas consacrée aux livres. Bien sûr, il a le droit de chercher un Bic pour écrire des notes. Comme moi, j'ai l'impression qu'il se demande si je ne suis pas un employé. Il voit que je ne suis qu'un simple client et que je ne semble pas le reconnaître qui plus est. Je me demande si ça ne le rassure pas de rester incognito. Sans payer, il repart vers l'escalier après avoir mis dans la poche de son blouson plusieurs stylos plume parmi les plus chers. Il existe encore des auteurs qui résistent au traitement de texte. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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