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Ma vie des autres (66)
Courts récits de 1000 signes (66). D'habitude, elle passe, elle vient discuter. Elle aime venir dans les salons du livre et retrouver les auteurs de la région qu'elle connaît. Au début, j'avais de la peine à retenir son prénom. C'est facile, me dit-elle, il suffit de se rappeler ce moyen mnémotechnique : s'il vit, c'est qu'il n'est pas mort. Sylvie n'apparaît plus. Je m'inquiète. Elle détenait le journal d'un vieil homme qui relatait sa vie dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale. Elle cherchait à le faire publier. Mais, par-dessus tout, elle aimait les livres, les romans et l'Histoire. Elle participait activement à un café littéraire, lequel club a eu les honneurs du journal local récemment. Sur la photo où posent les membres, pas de Sylvie. J'ai beau regarder à la loupe, elle n'y figure pas. J'ai son adresse mail, j'envoie un message, pas de réponse. J'en conclus qu'elle a déménagé. Pourtant, elle avait prévu de m'inviter à son café littéraire pour parler de mon dernier roman. Le moyen mnémotechnique pour me souvenir de son prénom me tourne dans la tête. Sylvie, c'est qu'il n'est pas mort. Cette phrase finit par me faire peur, comme s'il y avait des phrases amusantes trempées dans le curare. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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