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Ma vie des autres (84)
Courts récits de 1000 signes (84). Elle me déçoit. Je la croyais plus sympa. Je l'aime bien pourtant dans ses films. Elle joue depuis un moment. À l'écran, elle a une certaine classe, tout en paraissant normale, comme une jolie femme qu'on pourrait croiser dans la rue, pas une star, par une pin-up. Je répare une fuite d'eau dans le camion-loge qu'elle habite les deux semaines que dure le tournage à Castelnau. C'est mon camion-loge. Je m'occupe de tout. Je le conduis et je reste sur place dans le parc des caravanes d'acteurs, avec Lydia, mon employée qui s'occupe des tâches ménagères. Il y a toujours quelque chose à faire dans un appartement roulant. À mon avis, elle a bouché les chiottes, elle-même, dans la nuit, parce que je n'ai pas l'habitude de louer mon camion-loge s'il n'est pas entièrement nickel. La vache, elle m'engueule comme du poisson pourri, l'Américaine, comme si j'étais fautif, comme si mon camion-loge était indigne de sa personne. Elle sait très bien exprimer sa colère en français. Elle a vécu une partie de son enfance sur la Côte d'Azur, d'après les gazettes. Elle ne serait pas ce qu'elle est, je lui retournerais une baffe pour la calmer. Mais, je n'ai pas intérêt. Je n'oublie pas que la location du camion-loge, c'est mon gagne-pain. Elle part au maquillage, la grande dame. Je me tais. Le petit monsieur reste pour siphonner les tuyauteries.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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