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Ma vie des autres (89)
Courts récits de 1000 signes (89). Dick me prend par le bras, m'écarte du groupe et me demande où je me crois avec ma veste orange et mon jean vintage déchiré. On est dans une réunion de directeurs de centres régionaux, pas au cirque Pinder. Il me relâche, me regarde avec mépris et finit son aparté en me jurant qu'il aura ma peau, qu'il me cassera avant la fin de l'année. Mauvais début pour un séminaire important où des décisions doivent être prises pour renflouer les caisses de la boîte. Je me réfugie aux toilettes pour vomir mon déjeuner et me refaire une beauté. À la direction, ils m'ont dans le nez depuis mon discours de l'an dernier où, sous l'emprise d'amphétamines, je me suis permis d'ironiser sur la politique commerciale de la maison avant de souffler dans une trompette en plastique. Trois fois de suite, j'ai été élu meilleur manager de l'année. C'est terminé. Je suis rentré dans le rang, battu à plates coutures par des jeunes aux dents longues. On me demande du chiffre, pas de passer la pommade sur les bobos de mon personnel. J'ai le défaut d'être trop humain et l'humain ne fait plus partie du vocabulaire de la maison. Sur scène, je leur réserve un bon tour quand je serai appelé à présenter mon bilan. Je caresse une crosse dans la poche de la veste orange qui déplaît tant. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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