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Ma vie des autres (95)
Courts récits de 1000 signes. 95 : colocation discrète. J'attends qu'il fasse bien noir pour rentrer chez moi, le week-end où ma femme part chez ses parents. Je m'installe dans notre appartement du vendredi soir au dimanche matin très tôt. Je préfère dégager avant l'aube. C'est une chance qu'elle se rende souvent à Montargis dans sa famille, ça me permet de prendre mes aises une journée entière. Je peux dormir, me doucher et laver mon linge. Je fais bien attention à ne laisser aucun indice de mon intrusion. Le peu que je dérange, je le remets en place. J'amène de quoi me nourrir, même s'il m'arrive de piocher dans les réserves de ma femme un peu de riz ou des nouilles. J'ai gardé un double des clés de l'appartement. Elle n'a pas changé les serrures. Pour elle comme pour les autres, j'ai disparu ou je suis mort. La police me recherche depuis l'assassinat de mon employeur et de son fils. J'ai préféré la clandestinité à la réclusion en prison. Je me planque depuis seize mois et je m'en tire plutôt bien. Je vis avec l'argent que j'ai caché dans l'appartement. À chaque visite, je prends juste le nécessaire. Je peux tenir dix ans comme ça, le temps de la prescription.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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