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Ma vie des autres (97)
Courts récits de 1000 signes. 97 : cracher dans le micro. Toute ma vie, j'ai pensé au suicide et j'ai toujours repoussé à plus tard. Les gosses m'écoutent ébahis dans un silence d'après la fin du monde. Il paraît que j'ai une voix qui charme. Ils se rongent les ongles, ils se mordent les lèvres, pendant que je continue à déverser dans le micro mon dégoût de l'existence. Les accompagnateurs, instituteurs ou parents, me regardent aussi avec des yeux si exorbités que ces yeux vont finir par tomber et rebondir au sol comme des balles de tennis de table. Je montre ma collection de cicatrices. Ici, la balle de pistolet qui m'a traversé le thorax. Ici, la lame qui m'a coupé l'artère du bras. Là, les conséquences d'une défenestration du cinquième étage. Là encore, les marques d'une pendaison. J'ai une gestuelle qui fascine également. Je crois que j'arriverais à captiver une colonie de pingouins. Encore cinq minutes à tenir mon auditoire, qu'on me bisse ou non. Je fais exprès de faire durer le plaisir. Quand je descends de l'estrade, on ne m'applaudit pas. Les réglages sont bons. Parce que je sers de doublure. Je laisse la place à celui qui va faire son récital de poésie. Il me remercie. C'est moi plutôt qui devrais le remercier de m'avoir engagé alors que je ne parle pas un mot de français.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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