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Ma vie des autres (110)
Courts récits de 1000 signes. 110 : mouroir, mon beau mouroir. Je ne suis pas le seul à relever la tête. C'est bon d'entendre ce qu'on vient d'entendre deux jours d'affilée. En quelque sorte, ces gars dont on parle ont agi aussi en notre nom. D'habitude, on somnole pendant les informations. La télé raconte le monde par le petit bout de la lorgnette. Comprenne qui peut. On a mangé, on digère, c'est l'heure où l'on fume une cigarette virtuelle, où l'on savoure un cordial imaginaire, parce qu'on nous prive de tout. Les yeux mi-clos, on n'attend plus rien de la journée, sinon le souper et la mort. Le personnel n'est pas méchant, mais il n'a pas le temps de s'occuper correctement de nous. Sauf qu'aujourd'hui comme hier, les regards ont changé vis-à-vis des pauvres bougres que nous sommes, entassés dans notre maison de retraite. À l'extérieur, deux vieux viennent de signer des exploits qui ne sont pas passés inaperçus. Hier, un septuagénaire a été arrêté pour le vol d'une centaine de panneaux signalétiques en Bourgogne. Aujourd'hui, un autre pépé a attaqué à lui tout seul le casino de Deauville, avant de se faire buter par les forces de l'ordre. De quoi nous mettre du baume au cœur et nous donner des idées. J'ai quatre-vingt-six ans et je crois bien que j'arriverai bien à dégoupiller une grenade, même sans les dents.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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