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Ma vie des autres (146)
Courts récits de 1000 signes. 146 : condoléances. J'enfile mon costume sombre. Je viens d'apprendre la mort d'un chanteur d'une autre époque. Une célébrité de son temps qui aligna les succès dont il me reste des bribes de mélodies en tête. Légèrement plus âgé que moi, il m'a accompagné durant ma jeunesse. Je garde mon costume noir en son honneur jusqu'à ce soir. Mon appartement devient une chambre ardente en imagination. Je n'allume pas de bougie, mais le cœur y est. Cette disparition me touche forcément. C'est une part de moi-même qui s'en va avec cet artiste. Les souvenirs sont des lames de rasoir qui font saigner quand on les tripote. Je n'ai jamais été à un vrai enterrement avec mon costume. Je ne m'en sers que dans l'intimité. C'est d'ailleurs la seule fois où je porte la cravate. Comme je fais attention, il reste toujours propre et n'est jamais froissé. Je n'ai pas besoin de l'emmener au pressing. Après chaque deuil de personne connue, je le remets dans sa housse plastique, à plat dans son rangement, et à l'abri des mites. L'avantage des cérémonies à domicile, j'honore mes chers disparus dans mon habit de cérémonie tout en pouvant garder mes chaussons.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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