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Ma vie des autres (149)
Courts récits de 1000 signes. 149 : l'art qui fait mal. Je suis un photographe réputé. Je suis spécialisé dans la photo d'architecture et je gagne bien ma vie. Je frappe ma femme également. Mes expos et mes livres marchent bien. J'ai de la chance d'avoir trouvé ma voie. Tout serait parfait si je n'avais pas envie de tuer ma femme en permanence. Je la harcèle, je lui gâche la vie, je la soupçonne de tout. Elle me craint tellement qu'elle n'ose pas se plaindre à quiconque des mauvais traitements que je lui fais subir. Avec elle, je suis un monstre. Avec les autres, je suis un artiste, un professionnel, un génie, un modèle. Je m'arrange pour qu'elle n'ait ni bleu ni plaie sur les parties visibles de son corps quand elle doit apparaître en public. Je ne l'ai jamais photographiée après l'avoir battue. Je ne suis pas un voyeur. Je reste un esthète. Par exemple, le visage effaré, de toute beauté, comme un Greco, qu'elle a actuellement, mériterait que je l'immortalise. Elle vient de me planter le couteau à sushi dans le foie. Comme je suis agenouillé, je la vois pour la première fois d'en bas. C'est une découverte qui me la fait aimer différemment. La photographie, c'est comme l'architecture; en se déplaçant de peu, la perspective change.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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