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Ma vie des autres (166)
Courts récits de 1000 signes. 166 : vision interdite. J'ai peur. Je crains pour ma vie. Depuis que j'ai vu ce que je n'aurais pas dû voir, je ne suis plus ce que j'étais. Ma carte du journaliste, je peux la mettre à la poubelle. En off, j'ai assisté à une scène incroyable, et pourtant d'une banalité extrême. Malheureusement, je ne peux en parler à qui que ce soit. Encore moins rapporter cette information dans l'un de mes éditoriaux. La personne célèbre dont je ne peux que taire le nom m'a vu la voir. Elle obligeait une autre personne connue qui doit demeurer également anonyme à lui faire une gâterie sexuelle. Cet homme de pouvoir m'a fusillé des yeux. J'ai fait comme si de rien n'était. Plus tard, il m'a interpellé en catimini. Il m'a fait comprendre que j'avais intérêt à la fermer. Un coup de téléphone de sa part, je suis viré de la presse entière. Son pouvoir de nuisance est incommensurable. Aucun directeur de rédaction ne prendrait le risque de me soutenir. Il est ami avec les patrons de presse. Depuis, je me méfie des inconnus que je croise. J'ai un couteau à cran d'arrêt sur moi. Même si je ne veux rien monnayer, ni jouer les maîtres-chanteurs, la possibilité qu'il m'arrive un accident plane sur moi. Mes articles sur la vie politicienne ont perdu de leur légèreté. Je ne provoque plus, je ne fais plus sourire. Les lecteurs s'en plaignent. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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