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Ma vie des autres (172)
Courts récits de 1000 signes. 172 : petit bout de chou pourri. Elle m'agace avec sa gosse qu'elle nourrit au sein. Elle nous gâche la fête. La petite est toujours en train de chigner, de se tordre la bouche, de se tortiller dans les bras. Elle est mal en permanence. Tout le monde est atterré, voire excédé. Je ne comprends pas cette mode de donner le sein jusqu'à plus d'âge. Les deux garçons que j'ai élevés sont passés au biberon très tôt et ils dormaient, et ils étaient en bonne santé. J'avais une vie normale. On dirait que ma bru ne veut pas couper le cordon ombilical. Elle veut rester fusionnée avec ce qui est pour elle le centre du monde. Oui, pour elle, mais pas pour moi, aujourd'hui, où l'on fête les quatre-vingt-cinq ans de Papa. Mes parents sont comme moi et mon mari, prêts à exploser. Avec cette môme dont il faut s'occuper sans arrêt, le repas traîne en longueur. On s'arrête, on attend. Les plats refroidissent. De toute façon, j'ai l'appétit coupé à force de voir Jennifer et son clone en miniature jouer leur comédie. Impossible de discuter entre nous. Les cris du bébé plombent l'ambiance. J'ai envie de me tirer. Les autres aussi.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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