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Ma vie des autres (176)
Courts récits de 1000 signes. 176 : voir les grains de poussière. Cannelle passe pour une maîtresse de maison exemplaire aux yeux d'autrui. Je laisse dire. Je suis le seul à savoir ce qu'il en est vraiment. Avec sa myopie, elle ne voit pas ce qu'elle fait. Je suis obligé de passer derrière elle pour améliorer les choses. J'agis avec discrétion. Elle ne comprendrait pas ce que je fais, vu qu'elle croit dur comme fer que ce qu'elle fait est parfait. Dans son dos, je nettoie après elle la crasse qu'elle a laissée. J'entretiens ce qui doit l'être lorsqu'elle sort ou qu'elle dort. Je crains sans cesse de me faire pincer. Elle ferait une crise si elle me découvrait. Je préfère la voir contente d'elle-même et rien ne me fait plus plaisir qu'elle reçoive les félicitations des visiteurs. On la présente comme un modèle d'épouse. Les autres hommes me jalousent. Les autres femmes me félicitent. Évidemment, je veille sur les plats qui mijotent et je fais plus qu'ajouter mon grain de sel, toujours en douce. Cordon-bleu, c'est moi qui le suis, et perfectionniste. J'en fais peut-être trop. Mais je ne supporte pas le moindre soupçon de poussière. Je tiens ça de mon père. Maman est myope et complètement tête en l'air.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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