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Ma vie des autres (177)
Courts récits de 1000 signes. 177 : Don Juan de salon. Normalement, je dois réussir mon coup. Je suis entreprenant juste ce qu'il faut. Pas dragueur. Romantique et charmeur sans forcer le trait. J'applique à la lettre les six commandements du séducteur parfait. Je suis gentil avec tout le monde. Je suis propre et bien fringué. Je raconte des choses amusantes. Il faut absolument faire rire. Sans parler forcément de moi, je monopolise la conversation. Tout ce que je dis est positif. J'écarte tout ce qui attriste ou tout ce qui fâche. Pas de politique, pas de croyance, pas de maladie, pas d'allusion à ce qui va mal sur Terre, pas de moqueries concernant des personnes diminuées. Je parle franchement, d'une manière assez ferme pour qu'on m'entende sans avoir besoin de me faire répéter. Bref, je dois être sûr de moi et charismatique. Jusque-là, j'ai tout bon. Je me débrouille comme un chef. Ceux qui m'entourent ont l'air d'avoir un plaisir non feint d'être en ma compagnie. Surtout Nadejda, une nana délicieuse, que j'ai dans mon collimateur. C'est elle que je fais rire le plus fort, mais ce n'est absolument rien avant que je lui envoie, dans un éclat de salive, une molaire sanguinolente en pleine poire.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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