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Ma vie des autres (195)
Courts récits de 1000 signes. 195 : tsunami domestique. Elles sont comme des vagues monstrueuses, ces piles de linge qui recouvrent la table du séjour. Elles vont m'engloutir. Sonia est une obsédée du lavage et du repassage. Rien d'autre ne l'intéresse. Ce soir, je reviens de plusieurs jours de chantier dans le Nord. Rien n'est prêt. Elle n'a rien préparé. Je dois me contenter d'une boîte de sardines et de biscottes que j'avais heureusement stockées d'avance. Quand je suis à la maison, je m'occupe des courses, du ménage et de la petite. Son seul linge la fatigue trop. Elle n'en vient jamais à bout, forcément. Elle se change dix fois par jour. Mes vêtements et ceux de la gamine, je m'en charge avec mon vieux fer, sinon je les amène au pressing lorsque je dois repartir vite. De plus en plus souvent, Sonia baisse les bras et repousse à plus tard l'usage de sa centrale vapeur, mais elle n'en démord pas, elle refuse de confier son linge personnel à qui que ce soit. Je n'ai pas le droit d'y toucher, n'y même de le déplacer de la table du séjour où il reste bien visible au regard des visiteurs. Comme moi, ses parents ne lui font plus de remarques lorsqu'ils viennent prendre la petite qu'ils gardent en mon absence. Une publicité récente d'un journal résonne en moi. qui disait : Vous révez de nouveaux horizons ? La Marine recrute. Je me vois dans un canot pneumatique bondissant sur les vagues d'habits. Je fuis à toute vitesse je ne sais quel monstre marin.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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