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Ma vie des autres (205)
Courts récits de 1000 signes. 205 : manger du poisson. Adèle me quitte, tout simplement. Elle s'ennuie au lit avec moi. J'ai un sexe minuscule qui ne la satisfait pas. Je la comprends et je maudis la nature d'avoir raté cette partie de mon anatomie. J'ai tenté toutes les manœuvres à ma connaissance afin d'essayer d'agrandir ma verge, à l'exception de la chirurgie, car j'ai trop peur d'attraper une maladie nosocomiale. Rien n'a marché. Ni les médicaments, ni les prothèses qui étirent mécaniquement, pas plus que les pompes à air. Pareil avec les infiltrations d'huile d'olive dans le méat. Je n'ai essayé qu'une fois ; il y a un trop grand risque d'infection. J'ai cru un moment que le poisson arriverait à résoudre mon problème. Adèle m'avait convaincu que manger du poisson m'apporterait les éléments nécessaires à la croissance de mon sexe. Elle en rapportait de la ville le plus souvent possible. Dans les derniers temps, c'était quotidiennement. J'en avalais midi et soir, à toutes les sauces. Devenue bonne cliente de la poissonnerie, on lui faisait des prix, même qu'à la fin je dégustais des homards, de la sole ou du saint-pierre sans bourse délier. J'aurais dû me méfier, car, en plus de conserver mon terrible défaut, je me retrouve avec une grosse arête en travers de la gorge. Adèle fricote désormais avec le poissonnier.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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