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Ma vie des autres (208)
Courts récits de 1000 signes. 208 : le film du jour. Je rejoins Bijou au bistrot du cinéma. Elle fait durer son déca avant sa séance de seize heures quarante. Elle veut me parler. Soit. Ce n'est pas difficile, je suis de permanence dans le complexe trois jours sur sept, de midi jusqu'à la fermeture. Je surveille le hall et parfois je remplace la caissière. Ce multisalles ne propose que de l'art et essai, autant dire des films qui prennent la tête. Je n'ai jamais vu un seul film programmé dans l'une des quatre salles depuis que j'ai en charge la sécurité, à savoir quatre ans. Je ne suis ni cinéphile ni cinéphage comme Bijou qui veut tout voir. Je ne lis pas non plus et je regarde à peine la télé. Je consacre mon temps libre à dormir et à glander. J'aime ne rien faire. Je continue d'habiter chez mes parents et je sors avec Bijou de temps en temps. Elle est en corésidence avec des copines. Elle est vendeuse dans une boutique de sport de luxe, golf et équitation, bien qu'elle déteste le sport en général, à part le sport en chambre. Elle veut m'offrir un café, mais je ne peux pas rester, puisque je travaille. Je dois retourner à mon poste à l'entrée du cinéma. Sans prévenir, elle m'annonce que je vais être père. Je sens le sol trembler sous mes pieds. Je suis pris au dépourvu. Je n'ai pas été assez au cinéma pour avoir une bonne réplique à prononcer. Comme je reste coi, Bijou hausse les épaules et gagne la salle trois où l'on passe un film ouzbek en VO.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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