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Ma vie des autres (215)
Courts récits de 1000 signes. 215 : rejeté par ses pairs. C'est une expérience atroce que de côtoyer des hommes qui étalent leur intelligence et leur cœur à longueur de pages, mais qui, dans la réalité, vous oublient, justement parce que vous avez besoin d'aide, ne serait-ce que pour vous déplacer d'un endroit à un autre. Je me retrouve devant des sourires compatissants qui sont autant d'escaliers inaccessibles. Être vu me donner un coup de main n'entre pas dans leurs projets. Dans leur monde, tout marche par copinage. Bien que leur égal sur le papier, je n'en profite jamais. Je ne suis leur égal qu'illusoirement. Une série collective d'envergure démarre, je ne suis pas invité à participer, tout comme lorsqu'il se tourne en ville une émission télé sur ceux qui comptent ici. Tout se fait sans moi, alors que je ne démérite pas, j'ai du métier, j'ai du talent. Mes illusions tombent par poignées. Les promesses qu'on me fait sont des caries qu'il me faut immédiatement traiter sous peine de complications. C'est à ceux qui paraissent les plus engagés dans le combat contre l'ostracisme que je pardonne le moins. Leur indifférence, donc leur mépris envers ce que je suis, même inconscient de leur part, reste heureusement pour moi source d'études. C'est la moindre des compensations. Décidément, il m'est prouvé, à chacune de mes invitations dans les salons littéraires, qu'on n'aime pas les éléphants savants qui tapent du pied pour dicter leurs histoires. Autrement dit, je suis trop moche et je prends trop de place.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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