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Ma vie des autres (227)
Courts récits de 1000 signes. 227 : musique et musique. Je gratte dans ma chambre à l'extrémité du bâtiment, puisque je suis interdite d'auditorium. Les autres compositeurs refusent de m'intégrer. Mes guitares électriques ne font pas sérieux dans le petit monde de la musique contemporaine. Elles sonnent trop rock. Je les gêne dans leur travail, comme je gêne les autres créateurs également. À cause de ma présence incongrue, selon le mot du directeur, la Villa Médicis vivrait la période la plus sombre depuis ses nouvelles prérogatives. On me reproche de faire un raffut du tonnerre avec mes amplis. Évidemment, puisque mon logement n'est pas un studio d'enregistrement insonorisé. Tous les artistes et tous les chercheurs en résidence sont en pétard. Les plasticiens ratent tout ce qu'ils font quand ils m'entendent. Les écrivains s'embrouillent sur leurs ouvrages de commande. Les poètes ne se jettent plus que des formules toutes faites au visage. Les murs du Palais n'auront jamais autant résonné d'injures, et les femmes de ménage n'auront jamais autant balayé de cheveux arrachés. Malgré les plaintes qui s'accumulent, en tant que pensionnaire dont le dossier a été accepté par le Ministre de la Culture, je ne peux être chassée avant terme. Dire qu'à mon arrivée, ces braves gens étaient tous aux petits soins avec la jeune prodige de seize ans que je suis, qui connaît tant de succès avec ses B.O. de films, alors que je n'ai jamais appris le solfège et que j'improvise au petit bonheur. Dès huit ans, j'ai envoyé mes clips où je joue sur une Stratocaster plus grosse que moi sur Youtube. J'ai été vite repérée comme la résurrection de Jimi Hendrix en nymphette.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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