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Ma vie des autres (229)
Courts récits de 1000 signes. 229 : conférence parfaite. J'aimerais bien dire ce que je pense. J'ai mon opinion sur un tas de choses. J'ai plein d'idées intéressantes qui valent bien celles des experts et des spécialistes. Or, je préfère ne pas me joindre aux conversations, car je sais que je prendrai tout trop à cœur. Je m'énerve vite, non pas que je tienne à vouloir avoir raison à tout prix, mais je peux débiter des arguments à l'infini et je m'emmêle à la longue. Je m'énerve alors contre moi et je deviens cinglé aux yeux de mes interlocuteurs. Je comprends qu'on m'évite ensuite. Les portes se ferment. Je n'ai plus d'amis. Il me reste la famille avec laquelle je me comporte, le dimanche et les jours de fête, comme le petit garçon bien éduqué qui sait rester à sa place près de Papa Maman. Sinon, j'ai trouvé un pis-aller qui me permet de m'exprimer malgré tout, sans gêner quiconque. Je donne mon avis sur tout et n'importe quoi aux morts du cimetière militaire à côté de chez moi. Chaque soir, après le travail, j'erre entre les centaines de croix blanches, je soliloque entre mes dents, je me vide de mon trop-plein de pensées devant, cette fois, l'auditoire idéal, silencieux, totalement à mon écoute. Quand je m'arrête enfin et que je profite encore un moment de cette sérénité ambiante, je me dis que les guerres ne sont jamais tout à fait inutiles, mais je m'interdis de développer.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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