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Ma vie des autres (233)
Courts récits de 1000 signes. 233 : un repas appréciable. Jusqu'à dix heures ce matin, j'étais heureux et je ne le savais pas. Maintenant, je le suis encore, mais différemment. J'ai conscience de la bonne vie que je mène, d'autant plus que je sais que tout va s'arrêter bientôt. Quand la souffrance l'emportera sur l'indifférence, adieu banal petit bonheur de rien du tout et pourtant si important quand il vient à manquer. Des métastases de juillet m'accompagnent désormais. Je les emmène au restaurant. Malgré la mauvaise nouvelle, je n'ai pas annulé mon déjeuner aux Jardins de l'Opéra avec mes amis de L'Académie. J'apprécie la fameuse langue de bœuf sauce gribiche, alors que la conversation échauffe plus les esprits que le Bourgueil proposé par Ginette, la sommelière. Le combat se mène autour des symphonies de Mahler. Chacun a la sienne. Moi, hormis la première, trop verte, j'ai un faible pour celles des chiffres impairs. La 3 et la 9 pour leur côté monumental et la 5 pour son célèbre adagio. Pour une fois, je n'essaie pas d'imposer mon point de vue. J'ai l'impression que si j'ouvre la bouche, va se voir ce que je veux à tout prix cacher. Mon cancer sauce gribiche.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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