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Ma vie des autres (241)
Courts récits de 1000 signes. 241 : Janus aux deux visages. Chaque matin, c'est la même chose, j'oscille entre contentement et morosité. Je ne sais jamais si je dois sourire ou si je dois faire une tête d'enterrement. Je suis un métronome qui balance perpétuellement. C'est agaçant à la longue et ça énerve tout le monde. On ne peut pas savoir à quoi s'attendre avec moi, sauf dans le boulot où là je ne varie pas d'un iota. J'arrive, je règle le problème, je m'en vais. Pas de manières. Je reste impassible. Un vrai pro. Lorsqu'on me voit sortir de chez moi avec l'ancienne trottinette de mon fils sur l'épaule, on se dit voilà un bonhomme sur le retour d'âge qui va s'amuser, ou alors voilà un pauvre monsieur qui part en pèlerinage en mémoire de son enfant trop vite parti. Jean qui rit ou Jean qui pleure. Je ne donne pas la solution, je n'en sais rien moi-même. J'arrive ainsi à chacun de mes rendez-vous. Dès que je franchis la porte, on sait la raison de ma visite. Elle est régulière, et si elle ne l'est pas, c'est mauvais signe. Je suis chargé de ramasser les pourcentages, comme on dit dans le métier. Celui qui ne paie pas prend ma patinette dans la tronche. Je ne connais pas mieux comme gourdin. Elle me sert ensuite à tout fracasser autour du mauvais payeur. Après le travail, le dilemme me reprend. Quelle figure adopter pour rentrer chez moi ?
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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