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Franchement, moi, j'ai honte de faire partie de l'espèce humaine. Ce que j'aurais voulu, c'est être un oiseau de proie, les ailes démesurées, voler au dessus de ce monde avec l'indifférence des puissants. Un poisson des abysses, quelque chose de monstrueux, inconnu des plus profonds chaluts. Un insecte, à peine visible. Tout sauf homo sapiens. Tout sauf ce primate au cerveau hypertrophié dont l'évolution aurait mieux fait de se passer. Tout sauf le responsable de la sixième crise d'extinction qu'aura connue cette pauvre planète. Parce que l'histoire des hommes, c'est surtout ça. L'histoire des hommes, c'est l'histoire d'une défaunation à grande échelle, des deuils animaux à n'en plus finir.
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jeudi 21 novembre

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Ma vie des autres (244)

Ma vie des autres (244) Courts récits de 1000 signes. 244 : un grand chef. Je suis de toutes les télés. Je vais de plateau en plateau. Je suis le chef qu'on s'arrache. Ils sont tous toqués de mes recettes innovantes qui décoiffent les ménagères dans leurs cuisines. Les sushis à la saucisse, c'est moi. La choucroute frite où l'on remplace le chou par des frites et la charcuterie par des langoustines, c'est encore moi. Mon champagne aiolli est devenu l'incontournable toast des célébrations officielles, tout comme mes yaourts au piment d'oiseau qui sont quotidiennement distribués dans les cantines scolaires du service public. Je fais le buzz jusqu'en Asie où j'ai lancé une chaîne de restaurants cinq-étoiles. On y déguste partout, en même temps, quelle que soit l'heure, le même plat unique que je cuisine en direct chez moi et qui est repris par tous mes employés du monde entier. J'ai ma statue devant l'un de ces établissements à Singapour, une statue de dix mètres de haut. L'artiste m'a immortalisé suçant mon index que je suis censé avoir trempé dans ma toque que je tiens à l'envers dans l'autre main et que j'utilise comme une marmite. Depuis cette édification, on me compare au Colosse de Rhodes éclairant la cuisine universelle de mes lumières, sauf que moi, je ne suis pas près de m'écrouler et de prendre le bouillon.

Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.

Jan Thirion
Blog de Jan Thirion
Liens : Jan Thirion
Par La Rédaction



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