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Ma vie des autres (245)
Courts récits de 1000 signes. 245 : un chanteur mort. Malgré tout, j'ai un pincement au cœur. Les vieux chanteurs devraient obligatoirement mourir jeunes, comme leurs succès qu'on oublie à la vitesse du son, tellement les successeurs déboulent vite. Mais non, ils prennent leur temps et quand ils meurent vieux, on prend un coup de vieux. L'annonce du décès du vieux barde aujourd'hui devrait pourtant me faire plaisir. Je lui dois d'être dans mon fauteuil roulant. C'est comme si le chagrin national recouvrait d'un coup les cinquante ans de malheur qui ont suivi un inoubliable concert, pour mon compte, sous les étoiles, dans les jardins du casino de Hyères, un soir de juillet d'antan. Et ce soir là, Monsieur le chanteur est pressé. Il enchaîne quinze titres, dont les douze de son album que je connais par cœur, et pas un de plus, avant de regagner les loges et surtout le parking où l'attendent sa Harley et une fille, chanteuse également, que je reconnais en courant vers eux afin d'obtenir un autographe. En guise de dédicace, il me repousse violemment et je perds l'équilibre. Je tombe en arrière sur les marches qui donnent sur le mini-golf et je me pète la colonne vertébrale. À moi la paraplégie, le fauteuil et les salles de concert inaccessibles ! Lui ne s'aperçoit de rien. Il file sur sa moto dans la nuit de mes souvenirs.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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