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Ma vie des autres (257)
Courts récits de 1000 signes. 257 : cruelle rencontre. Mes ouvriers continuent de bavarder, alors que moi j'ai le réflexe de cacher mon visage. Celle qui rentre dans le restau, je la reconnais. Comment l'oublier ? J'ai vécu douze jours avec elle, mais pas qu'avec elle. Elle commandait tout le temps. Elle n'était pas tendre. Je sens mon corps trembler en souvenir des sévices qui m'ont été infligés. Chaque jour passé dans cette prison à ciel ouvert installée après la catastrophe, j'ai bien cru y crever. On nous a fait vivre comme des bêtes en cage dans le stade même où je viens encourager habituellement mon fils et son équipe de foot junior. Le boucan des blocs électrogènes et la lumière permanente m'empêchaient de dormir. Je mangeais trois fois rien du peu qu'on nous fournissait. C'était souvent du jambon ou du patê de porc que ma religion m'interdit de consommer. Durant les événements, on m'a pris pour un terroriste. Il paraît que j'en avais l'allure avant qu'on ne me libère sans un mot d'excuse et sans aucune indemnisation, bien sûr. Si je révélais à mes ouvriers l'identité de la geôlière qui vient de rentrer dans l'établissement, ils iraient lui casser la gueule.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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